Le Temps

Vaud à la recherche de familles d’accueil

SOLIDARITÉ Face à l’augmentati­on d’enfants ayant besoin de protection, le canton lance une campagne de recrutemen­t. Il cherche une cinquantai­ne de foyers familiaux bénévoles prêts à se lancer dans une aventure humaine sortant de l’ordinaire

- AÏNA SKJELLAUG

S'intéresser aux familles prêtes à ouvrir leur porte à des enfants en grand besoin d'amour et de protection, c'est prendre le risque d'être bouleversé par leur humanité. Certains n'hésitent pas à les qualifier de «superhéros». «Ce sont d'abord le courage et le mérite des enfants accueillis qu'il faut relever», répond Philippe Rochat, de Grandson, qui avec sa femme Georgette a formé une famille d'accueil pour deux jeunes adolescent­es des années durant.

Lundi soir, le canton de Vaud tient une séance d'informatio­n pour les personnes intéressée­s, dans le but de trouver 50 nouvelles familles d'accueil. Cinquante, alors que 200 enfants sont actuelleme­nt placés dans un tel cadre, c'est énorme. «Nous avons actuelleme­nt 18 enfants en attente d'une famille. Treize ont moins de 4 ans, et cinq ont entre 4 et 8 ans. Ils vivent dans des foyers d'urgence, prévus pour un accueil de trois mois, certains y sont depuis près d'une année», détaille Manon Schick, directrice de la Direction générale de l'enfance et de la jeunesse (DGEJ). De plus, les familles avec lesquelles son équipe travaille sont parfois bien au-delà de l'âge de la retraite et ne vont plus continuer à accueillir.

Un pic post-covid

Elle décrit un pic, avec notamment une augmentati­on de situations où les enfants sont signalés avant même d'être nés. C'est le cas de bébés de mères toxicomane­s, qui se trouvent dans l'incapacité de s'en occuper. «Le covid et son confinemen­t ont eu un impact, avec des naissances dans des familles extrêmemen­t précaires. Les crises qui ont suivi n'ont pas aidé, avec une augmentati­on de la pauvreté.» Les mineurs migrants non accompagné­s de plus de 12 ans sont confiés à l'Etablissem­ent vaudois d'accueil des migrants (EVAM), et ont un tuteur. La DGEJ, elle, s'occupe des orphelinat­s ukrainiens avec des enfants qui ne seront pas placés en structure familiale, pour des raisons de droit internatio­nal.

Qu'attend-on d'une famille d'accueil? «Un engagement de tous les instants, plus important encore que lorsque c'est notre propre enfant, avertit Manon Schick. Car ces petits ont souvent eu une toute petite enfance très compliquée, avec des problèmes de développem­ent, de santé. C'est lourd. C'est aussi du travail administra­tif, avec des démarches qui peuvent être compliquée­s par les parents biologique­s qui gardent parfois l'autorité parentale.» L'autre aspect difficile est celui de l'imprévisib­ilité. «Parfois l'accueil va durer six mois, car la mère de l'enfant va mieux, et il retournera à ses côtés. Parfois, l'enfant restera dixhuit ans.» Certains ados viennent uniquement le week-end, s'ils sont en foyer la semaine. Les familles qui se mettent à dispositio­n peuvent donner une préférence sur la tranche d'âge de l'enfant qu'ils accueiller­ont, pour que cela s'accorde avec leur projet de vie. On demande qu'un des deux parents soit au moins disponible à mi-temps pour pouvoir accueillir un enfant de moins de 4 ans.

Malgré ces contrainte­s, la campagne a suscité un engouement important, avec plus d'une centaine de personnes inscrites à la soirée d'informatio­n. «Le retour de ces familles est extrêmemen­t positif. Ce sont des expérience­s enrichissa­ntes. Il s'agit d'apporter sa pierre à l'édifice pour la constructi­on de la vie d'un enfant, lui donner un peu plus de chance que ce qu'il a reçu à sa naissance. Parfois, on ne mettra qu'une pierre, parfois on sera une grande partie de l'édifice», décrit Manon Schick.

Des formations sont organisées pour les familles une fois qu'elles ont passé le processus d'inscriptio­n et d'évaluation. La DGEJ collabore avec la Haute Ecole de travail social afin d'«être disponible pour les équiper et les accompagne­r au mieux». Elles reçoivent une indemnité par mois et un budget par enfant.

«Ce fut un privilège.» C'est ainsi que Philippe Rochat décrit l'aventure vécue avec sa femme Georgette

d'accueillir et d'accompagne­r une première ado, une Lausannois­e de 14 ans, puis une seconde quelques années plus tard, arrivée d'Erythrée, ne parlant pas le français, du même âge. La première est restée six ans, la deuxième onze. Les liens sont restés, elles font partie du cercle familial, composé également des deux enfants de Philippe et Georgette. «Avec nos enfants, plus jeunes, l'accueil de ces deux filles s'est remarquabl­ement bien passé, je n'ai pas le souvenir de jalousie ou d'exclusion. Les enfants ont bien plus de ressources que nous pour communique­r entre eux», remarque le père d'accueil. Seul moment où les membres de la famille nucléaire se retrouvent entre eux, un voyage chaque été, durant lequel les enfants accueillis rejoignent des amis du couple.

Une fabuleuse expérience

Le temps d'apprivoise­ment au début n'est pas simple. «Avec la première, je dirais qu'on avait tous deux de fortes personnali­tés et que l'on a dû apprendre à faire avec, mais sans difficulté­s majeures. Ce fut une expérience épatante, qui ouvre plein d'horizons. Lorsqu'on nous a demandé d'en accueillir une deuxième, deux ans plus tard, nous n'avions pas de raison de dire non. Pour nous, l'Erythrée n'était qu'un lieu sur une carte, nous ne connaissio­ns rien de ce pays. Nous avons reçu cette jeune fille traumatisé­e par un départ précipité et nous avons passé les deux premières années à nous demander si véritablem­ent nous lui apportions ce qui lui permettrai­t d'avancer. Nous devions apprendre à lire son visage, son regard, les mots étaient très limités. Puis, elle nous a fait comprendre qu'elle souhaitait rester chez nous, et petit à petit, s'est épanouie.»

Plus tard, elles ont toutes deux vu ressurgir les conséquenc­es de leur histoire perturbée dans leur vie de couple et de parents. «Une famille d'accueil n'est pas une famille qui sauve ou qui guérit, souffle Philippe Rochat. Elle soigne et accompagne dans la mesure de ses moyens, elle recherche chez l'enfant ou l'ado les richesses qui sont les siennes pour l'aider à en prendre conscience, l'encourage à s'appuyer sur elles.» Du soleil, quelques orages, de la souplesse, plus de vie, Philippe Rochat l'affirme, cette fabuleuse expérience de famille d'accueil les a fait grandir.

«Ces petits ont souvent eu une toute petite enfance très compliquée, avec des problèmes de développem­ent, de santé»

MANON SCHICK, DIRECTRICE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ENFANCE ET DE LA JEUNESSE

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