Réapprendre à vivre avec Trump
Les élections américaines se tiendront dans neuf mois. Si rien ne permet aujourd’hui d’affirmer avec certitude que Donald Trump reprendra la Maison-Blanche par la voie des urnes, il faut bien constater après un premier tour de piste auprès d’électeurs républicains qu’il a fait le vide autour de lui. Sa seule rivale encore debout, Nikki Haley, semble inaudible auprès de la base conservatrice. Il sera le candidat qui affrontera Joe Biden. Et, dans les sondages, il apparaît pour l’heure comme le favori.
Ce scénario, moyennement réaliste il y a quelques mois, doit désormais être sérieusement pris en compte dans les chancelleries. Depuis bientôt deux ans, c’est le pari de Vladimir Poutine. Nul doute qu’il donnera un coup de main, comme il l’avait fait en 2016, en faveur d’une figure politique qui a plus en commun avec le chef du Kremlin qu’avec le démocrate qui préside à Washington. Pour les Européens, cela représente un nouveau saut dans l’inconnu. Avec cette interrogation: Trump bis abandonnera-t-il le continent à un sort incertain ou lui permettra-t-il, au contraire, de s’affirmer dans l’adversité?
Une deuxième élection de Donald Trump indiquerait en effet un choix décisif des électeurs en faveur de l’isolationnisme. L’histoire rappelle, après tout, que c’était la posture traditionnelle des Etats-Unis jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale. Le leadership mondial américain date de 75 ans, et voilà un bon nombre d’années qu’il donne des signes de fatigue. Non pas que sa puissance soit diminuée. C’est plutôt sa légitimité qui est questionnée. Après le récit du rempart contre le nazisme, puis contre le communisme, le substrat qui le sous-tendait, la défense et la promotion de la démocratie, s’effiloche. Quant à la liberté, elle se suffit à elle-même, dans ses frontières. Du moins pour ces électeurs qui sont prêts à voter Trump avec toutes ses entorses à l’Etat de droit. Leur loyauté n’est plus dictée par l’idéal d’une Constitution mais par l’intérêt d’un homme.
Les premières victimes de cet isolationnisme pourraient être les Ukrainiens. Donald Trump n’a-t-il pas déclaré qu’il réglerait ce conflit en quarante-huit heures avec Vladimir Poutine? On devine que ce ne serait pas à l’avantage de Kiev. Comment réagira alors l’Europe? Les optimistes peuvent se partager en deux camps. Il y a ceux qui voient dans un repli des Etats-Unis la possibilité de développer une autonomie stratégique. L’OTAN ne sera pas dissoute, mais elle marchera sur deux jambes. L’Europe prend enfin en main sa défense et cela favorise l’union politique. Et il y a ceux qui se rassurent en rappelant que Trump I, malgré ses saillies contre l’OTAN et l’UE, ne s’était en réalité pas engagé dans un retrait du système de sécurité collective. Le Congrès veillerait au grain. C’est oublier que ce retour serait celui d’un homme bien mieux préparé et beaucoup plus déterminé.
Non seulement Trump pourrait livrer l’Europe (de l’Est) aux appétits de Poutine, mais il devrait susciter la désunion politique, craignent pour leur part les pessimistes. Une victoire de Trump, comme en 2016, ne manquerait pas d’alimenter le discours de l’extrême droite et de susciter de nouveaux clones nationalistes de ce côté-ci de l’Atlantique. Ce serait un coup dur pour les fédéralistes, les tenants d’une Europe capable de resserrer les rangs face aux défis russes, chinois… et américains. La défense des libertés dans les petites frontières des nations européennes y survivrait-elle? Joe Biden, et une certaine idée du leadership américain, n’est pas encore vaincu. Mais il est temps d’envisager un retour de Trump. Et ses possibles conséquences pour notre continent. ■