La croissance a la cote, Biden un peu moins
L’économie américaine affiche une bonne santé mais le locataire de la Maison-Blanche n’en profite pas. Le président démocrate espère inverser la tendance ces prochains mois alors qu’un nouveau duel avec Donald Trump paraît inévitable
«Une hirondelle ne fait pas le printemps». Toujours au milieu d’un hiver de popularité – laquelle ne dépasse pas la barre des 40% – Joe Biden guette les premiers signes de réchauffement. Encore plus inquiétant, le candidat à sa réélection n’est jugé crédible sur l’économie que par un tiers de ses compatriotes. Traditionnellement le sujet clé pour décider de l’issue de la présidentielle, l’économie américaine se porte pourtant bien.
Le Département du commerce a annoncé jeudi un taux de croissance de 3,3% au dernier trimestre de l’année 2023, soit une croissance de 2,5% pour l’ensemble de l’année dernière, un résultat à faire pâlir les économies européennes. Le rebond américain depuis la fin de la pandémie de Covid-19 est durable et les menaces de récession s’éloignent.
Grâce à ce dynamisme, les créations d’emplois se poursuivent et le taux de chômage est à un niveau historiquement bas (3,7%). Même l’inflation, le grand point noir de ce tableau, diminue. Hors alimentation et énergie, la hausse des prix se situe désormais à 2,9% en décembre sur un an, selon l’indice PCE publié vendredi, après un pic de 5,6% en février 2022. Le président et son administration tentent ainsi de reprendre le contrôle du narratif politique, marqué par le pessimisme des Américains. «Les salaires, la richesse et l’emploi sont désormais plus élevés qu’ils l’étaient avant la pandémie, s’est félicitée la Maison-Blanche, dans un communiqué jeudi. C’est une bonne nouvelle pour les familles et les travailleurs américains.»
Message martelé
Le président se déplaçait jeudi dans le Wisconsin, un Etat qui sera crucial pour sa réélection au mois de novembre. Il y a vanté son bilan économique et les investissements massifs décidés durant son mandat, après avoir visité un pont rénové entre le Wisconsin et le Minnesota sur lequel transitent des centaines de milliers de camions chaque année. Le président en campagne multiplie ce genre de déplacements pour marteler son message, espérant finalement convaincre les Américains que leur situation s’améliore.
«Les Etats-Unis ont la croissance la plus forte et l’inflation la plus faible des économies avancées. Donald Trump, lui, souhaite qu’un effondrement économique se produise aussi rapidement que possible sous mon mandat», a lancé Joe Biden. Plus tôt dans la journée, la secrétaire au Trésor Janet Yellen était à Chicago, devant des acteurs économiques. Elle leur a vendu le redressement «le plus impressionnant et le plus juste» de l’histoire des Etats-Unis. Elle a reconnu que les investissements record décidés durant le premier mandat de Joe Biden pour rénover les infrastructures, doper les énergies renouvelables ou rapatrier la fabrication de semi-conducteurs sur le sol américain mettaient du temps à avoir une influence sur la vie des Américains.
La secrétaire au Trésor assure que la hausse des salaires contrebalance désormais les effets de l’inflation. Ces derniers mois, le président s’est rangé derrière les syndicats, allant jusqu’à prendre le mégaphone sur un piquet de grève en septembre dernier quand les employés de l’automobile réclamaient une augmentation de salaires longtemps gelés par les constructeurs dans la région des Grands Lacs.
Le puissant syndicat de l’automobile (UAW) a remporté son bras de fer. Et il vient d’apporter mercredi son soutien à la réélection du président, qui se présente comme un champion de la classe moyenne. Les républicains, quant à eux, se gaussent des «Bidenomics», le slogan destiné aux investissements massifs qui, selon eux, contribuent à l’inflation et creusent encore le déficit budgétaire.
La cote de popularité de Joe Biden stagne mais la confiance des consommateurs a augmenté ces deux derniers mois, selon l’Université du Michigan, dans une proportion jamais vue depuis 1991, après une récession. Est-ce le signe que l’administration Biden va enfin bénéficier de ces signaux encourageants?
«Peu importe l’évolution de l’inflation»
Professeur d’économie à l’Université du Texas, à Austin, James Kenneth Galbraith doute de la pertinence de ces indicateurs classiques pour la santé financière réelle des Américains. «Peu leur importe l’évolution de l’inflation d’un mois à l’autre ou d’une année à l’autre, ils paient l’effet cumulatif de l’augmentation des prix de leurs courses ou à la pompe. Ils voient bien qu’ils dépensent aujourd’hui bien davantage d’argent pour se nourrir ou se déplacer qu’avant la pandémie.
Les Américains, en majorité propriétaires de leur logement, sont aussi pénalisés par la hausse des taux hypothécaires de ces dernières années». Quant à la baisse du taux de chômage, déjà très bas, «il ne fait pas une grande différence pour l’immense majorité des Américains», poursuit l’économiste, qui était par le passé proche du Parti démocrate mais est aujourd’hui très critique.
Dans ce contexte, la campagne du président assurant que la situation s’améliore est inefficace, voire se retourne contre la Maison-Blanche, poursuit James Kenneth Galbraith. «Les travailleurs ne constatent rien de tel, alors qu’ils voient les cours de la bourse s’envoler, d’autres s’enrichir et de vieux fonctionnaires bien mieux lotis qu’eux s’autocongratuler. La conjoncture actuelle me rappelle quand George Bush essayait de convaincre que la situation économique n’était pas si mauvaise en 1992. Les Américains ne le voyaient pas ainsi et Bill Clinton avait su en profiter pour être élu.»
■
«Les Américains voient bien qu’ils dépensent aujourd’hui bien davantage d’argent qu’avant la pandémie» JAMES KENNETH GALBRAITH, PROFESSEUR D’ÉCONOMIE À AUSTIN