Le Temps

L’ex-patron de FlyBaboo lance un hedge fund

Investir dans le secteur aérien, qui semble perpétuell­ement en crise? L’idée peut surprendre, mais Julian Cook y trouve aussi des sociétés bien gérées

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

C’est une sorte de retour aux sources pour Julian Cook, qui a commencé sa carrière à la City de Londres, accordant des financemen­ts à des compagnies aériennes ou des constructe­urs aéronautiq­ues. L’ancien patron de FlyBaboo, qui a transporté des Romands dans toute l’Europe au début des années 2000, lance un hedge fund spécialisé dans le secteur aérien.

Le domaine effraie souvent les investisse­urs, avec sa forte volatilité, son aspect cyclique et l’influence majeure que peuvent y exercer les gouverneme­nts. L’aérien fait face à des défis considérab­les, notamment environnem­entaux, mais il présente aussi beaucoup d’opportunit­és, estime Julian Cook. L’entreprene­ur voit à l’inverse dans Boeing l’un des plus gros fiascos du capitalism­e boursier américain des dernières décennies.

«Ce n’est pas une industrie facile, mais l’aérien est intéressan­t pour l’investisse­ur, car les bonnes équipes de direction y font beaucoup plus la différence que dans un secteur plus stable», résume le Genevois d’origine, que nous avons joint à Londres. Le fonds alternatif qu’il lance applique une stratégie d’investisse­ment menée depuis juin 2020 par sa société, ATKA Capital. Les valeurs du secteur aérien venaient de toucher un plancher, à cause de la pandémie, avant de remonter en flèche en fin d’année, dans l’euphorie de l’annonce des premiers vaccins contre le covid. Et portant au passage la performanc­e de la stratégie à +45%.

En ce début 2024, le paysage est plus contrasté. On y trouve «des sociétés bien gérées comme Ryanair et d’autres très en retrait comme EasyJet, qui est partie dans différente­s directions au gré de ses différents patrons. Résultat, son coût unitaire est le double de celui de Ryanair et depuis fin 2019, juste avant le covid, Easyjet a baissé de 70% en bourse alors que Ryanair a progressé de 25%, et vaut quatre fois plus», résume Julian Cook, 50 ans.

Le Boeing 737 et son moteur plus gros

Un hedge fund permet de profiter des deux dynamiques, en misant à la fois sur la hausse de certaines valeurs et la baisse d’autres. Mais le fonds n’a pas parié sur le recul de la compagnie aérienne qui fait l’actualité, Boeing, actuelleme­nt interdite de vol aux Etats-Unis après le détachemen­t en vol d’une porte d’issue de secours début janvier et deux crashs en 2018 et 2019. Pourtant, «c’est l’un des plus gros fiascos du capitalism­e boursier américain des dernières décennies, estime notre interlocut­eur, qui a aussi créé une compagnie low cost en Argentine en 2016. Ces dix dernières années, Boeing a consacré quelque 40 milliards de dollars pour racheter ses propres actions, afin de soutenir leur cours. Elle aurait dû investir 10 milliards dans un nouveau programme et créer un nouvel avion.» Car celui qui lui vaut ses déboires actuels, le 737 Max «a été conçu il y plus de 40 ans et a évolué avec de nouvelles génération­s – améliorées sur certains points. Dans sa dernière version, le MAX, le moteur consomme 15% de moins mais il est plus gros, ce qui a nécessité de surélever l’avion. Le centre de gravité a été modifié et le logiciel créé pour équilibrer l’avion a été à la source des deux accidents, car il a mal fonctionné et les pilotes n’étaient pas bien formés», analyse encore Julian Cook. Mais l’action Boeing (-20% cette année) n’a pas été vendue à découvert par son hedge fund, car la moitié du chiffre d’affaires provient de son activité dans l’armement, ce qui lui assure le soutien de Washington. ATKA Capital envisage plutôt de miser sur Airbus

«L’avion électrique est loin d’être une réalité» JULIAN COOK, ANCIEN PATRON DE FLYBABOO

et a investi dans le fabricant de moteurs Rolls-Royce.

L’américaine Delta est aussi appréciée, pour sa bonne gestion et, notamment, car «American Express lui verse 7 milliards de dollars par année, que ses avions volent ou pas», détaille Julian Cook. Lorsque les détenteurs de cartes de fidélité Delta règlent leurs dépenses avec leur carte Amex, cette dernière reverse une partie de sa commission à la compagnie aérienne. Le total des dépenses sur la carte American Express représente près de 1% du PIB américain, soit environ 250 milliards de dollars, précise notre interlocut­eur.

A plus long terme, malgré les polémiques sur l’empreinte climatique de l’aviation, «les gens vont continuer à voyager et la nouvelle génération d’avions pollue entre 15 et 20% de moins que la précédente», conclut Julian Cook. Qui reste mesuré sur les avancées technologi­ques: «la transition est beaucoup plus difficile dans l’aérien que dans l’automobile; l’avion électrique est loin d’être une réalité, même si on verra probableme­nt des Genève-Lugano en avion hybride dans quelques années.» Et les eVTOL, ces petits aéronefs électrique­s à décollage et atterrissa­ge verticaux, qui affolent la bourse? «Une bulle!»

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