Toutes les pistes mènent au freeride
Trois des quatre champions en titre du Freeride World Tour ont auparavant participé à la Coupe du monde d’autres disciplines. Les compétences acquises en ski de bosses, alpin ou freestyle peuvent être converties sur les faces les plus raides
XEn ski de bosses, Justine DufourLapointe possède le genre de palmarès qui impose le respect. Trois participations olympiques pour une médaille d’or et une d’argent. Un titre de championne du monde, 49 podiums en 117 épreuves de Coupe du monde. Mais la Canadienne n’avait aucune connaissance de la haute montagne ou expérience du horspiste lorsqu’elle a décidé, la saison dernière, d’embrasser une nouvelle carrière sur le Freeride World Tour (FWT). Elle n’a commencé à s’entraîner spécifiquement que trois mois avant la première étape du championnat. Quatre compétitions plus tard, la rookie était sacrée championne.
«Ça a été une grande surprise pour tout le monde, jamais une reconversion n’avait été si rapidement couronnée de succès», s’amuse-t-elle au téléphone en avalant la route qui sépare l’Autriche de Verbier, où elle débutera samedi sa deuxième saison sur le circuit. Mais les gens «sous-estiment les bosses et les qualités qu’elles permettent de développer», enchaîne-telle, pas loin d’être convaincue que n’importe quel(le) athlète de très haut niveau dans sa discipline d’origine pourrait prétendre à une transition aussi réussie que la sienne.
Des aptitudes à développer
Justine Dufour-Lapointe n’est pas la première «bosseuse» à sauter dans le freeride. Mais on y arrive aussi en provenance de nombreuses autres disciplines. Les deux champions du FWT 2023 catégorie snowboard, le Français Ludovic Guillot-Diat et la Canadienne Katie Anderson, ont pratiqué le boardercross en Coupe du monde. Valentin Rainer, qui a décroché le titre masculin en ski, a derrière lui une formation alpine tout ce qu’il y a de plus classique pour l’Autrichien qu’il est.
Jérémie Heitz, star du freeride grâce à ses films et troisième du FWT en 2014, a aussi pratiqué le ski alpin en compétition, jusqu’au troisième niveau mondial à 17 ans. Récemment, la descendeuse andorrane Candelaria Romano a remporté une compétition estampillée «FWT Qualifier» entre deux épreuves de Coupe du monde de ski alpin. Et on ne parle même pas des nombreux athlètes issus des disciplines freestyle (halfpipe, slopestyle, big air), dont l’Espagnol d’origine fribourgeoise Thibault Magnin (23 ans) qui fera ses débuts samedi sur le Bec des Rosses après avoir notamment arpenté le park des Jeux olympiques de Pékin en 2022.
La surprise Braathen
Toutes les pistes mènent au freeride. Laurent dit «Lolo» Besse, chef des juges du Freeride World Tour et inventeur du système de notation, valide la formule. «On peut vraiment arriver depuis n’importe quelle discipline de neige, estimet-il. L’important est de posséder certaines aptitudes en matière de vitesse et de réalisation de figures, mais les unes sont plus importantes que les autres, et inversement, suivant les épreuves.» Dans les Pyrénées, en Andorre ou en Espagne, il est entendu que «les tricks font la différence», alors les athlètes venus du freestyle ont un avantage. A Verbier, sur une face terriblement raide, le choix de la ligne compte davantage et les skieurs alpins ont de bons arguments à faire valoir.
Bien sûr, ceux qui excellent dans les deux matières se royaument.
Selon «Lolo» Besse, ce serait le cas du Norvégien Lucas Braathen, vainqueur du petit globe de cristal du slalom en Coupe du monde de ski alpin l’hiver dernier, si son intérêt pour le freeride – révélé par le site spécialité SkiActu.ch – devait se concrétiser. «Il est très fort techniquement, et il fait aussi du saut de falaises et du trampoline, comme on peut le voir sur les réseaux sociaux», argumente le juge qui, lui, n’a pas été surpris des débuts fracassants de Justine Dufour-Lapointe: «Les bosses, c’est une école idéale, car il faut être très bon skieur, et en même temps capable de poser des figures.»
Le principal défi est identique pour tous les rookies du freeride: apprendre à lire la montagne pour ensuite dessiner leur ligne
Au Québec, le ski de bosses est une discipline très populaire, et c’est tout naturellement que la future championne du FWT a commencé à la pratiquer dans le sillage de ses grandes soeurs Chloé et Maxime, qui allaient, elles aussi, participer aux Jeux olympiques. A haut niveau, dit Justine, ce sport constitue «une quête de perfection» qui l’a parfaitement préparée au freeride. «J’ai skié pendant douze ans en Coupe du monde, à réaliser environ 2000 backflips par an, sans jamais me dire que j’en avais posé un de parfait. Sur le FWT, dès que tu en réussis un, tout le monde te dit: «Wow, c’est cool, génial!» Vu mon parcours, j’ai une certaine aisance pour le faire.»
En matière de rythme non plus, elle ne rencontre pas de difficulté insurmontable. «Dans mon premier sport, les femmes passent environ six bosses par seconde. En freeride, tu as en moyenne deux «tournants» à faire en quatre secondes». Autrement dit: elle a plus de temps pour négocier moins de virages. L’environnement, certes, n’est pas le même: rien à voir entre une piste standardisée et une face exposée, pas vrai? «Un champ de mines glacé d’un côté, un océan de poudreuse de l’autre… Je ne sais pas ce qui fait le plus peur», se marre la Québécoise, qui a tout de même dû se familiariser avec un matériel totalement différent: des skis plus lourds et plus larges, ainsi qu’un sac à dos contenant le nécessaire en cas d’accident.
Qualités de visualisation
Pour le reste, le principal défi est identique pour tous les rookies du freeride: apprendre à lire la montagne pour ensuite dessiner leur ligne. Justine Dufour-Lapointe, qui n’avait aucune expérience en la matière, a engagé l’ancien freerider autrichien Stefan Häusl comme coach, tendance mentor. Thibault Magnin, lui, avait déjà dévalé des faces engagées pour le plaisir, mais la compétition impose d’autres exigences. «Il faut vraiment développer des qualités de visualisation, c’est ce que je trouve le plus complexe, notet-il. Concrètement, j’ai regardé beaucoup de runs des dernières années pour voir ce que les autres faisaient. Et pour préparer la première épreuve de Verbier, je me suis tout simplement installé en face du Bec des Rosses avec des jumelles…»
A la veille du départ, il pense «tenir sa ligne», mais ne veut s’imposer ni pression ni objectif, conscient d’entamer là un apprentissage. Mais il ne dirait évidemment pas non si cela devait aussi bien se passer pour lui que pour Justine Dufour-Lapointe.
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