Le tohu-bohu des choses
Un musée, c’est une sorte de «grande poubelle», ironise Wim Delvoye lorsqu’on visite avec lui L’ordre des
choses, la grande exposition «carte blanche» qu’il présente au Musée d’art et d’histoire de Genève (MAH). La formule est provocatrice. Comme les trous que l’artiste fait dans des tableaux et des sculptures anciennes (tirés de sa propre collection!), comme les statues qu’il tord, comme les étuis luxueux et sur mesure dont il enveloppe des objets quotidiens et souvent usés.
Wim Delvoye sait bien qu’il attente ainsi à une certaine règle du social, de l’esthétique et du marché et les conséquences de ses positions artistiques font aussi partie de son oeuvre. Ces vertiges, ces tensions poussées à l’extrême, ce rire sardonique et potache qui bouscule les équilibres établis sont au coeur du travail de l’artiste belge, dont Marcel Duchamp fut un des premiers maîtres.
Par son travail, par les rapprochements qu’il suscite, par les choix qu’il effectue dans les collections du MAH – pièces de monnaies, sculptures, machines, brevets, peintures, dessins industriels ou non, sarcophages, étuis, gravures –, c’est notre regard que bouscule Wim Delvoye. Il nous force sans cesse à le poser ailleurs, à considérer l’envers du réel, l’envers des oeuvres, des choses, de l’ordre et du musée.
Ce refus de toute hiérarchie a priori rend une force première, presque primitive, aux objets qui semblent redevenir porteurs de possibles. On est dans le tohu-bohu, un tohu-bohu moderne encombré par le marché et la production de masse, un tohu-bohu muséal aussi.
Bien sûr, l’artiste n’en reste pas là. Il s’empresse de recréer un monde selon ses propres questionnements, en suivant aussi les pistes ouvertes par d’autres artistes avant lui. Un nouvel ordre des choses et du musée surgit ainsi, où des objets oubliés, ou tout simplement endormis, retrouvent puissance et expression, où des objets connus se parent de nouvelles significations et de nouvelles couleurs.