Le Temps

Vincent Lindon: «Peut-être le rôle le plus politique que j’ai jamais joué»

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Le personnage de Simon Weynachter vous ressemble-t-il?

Pour un acteur, le personnage, c’est 15% du tout… Il a ma figure, ma démarche… Il y a des variations, des jours où on est fou de joie, des jours où on est moins content. Nous ne pouvons pas être toujours sur la crête. Mais c’est intéressan­t: si une actrice ou un acteur arrive le matin mal luné et qu’elle ou il doit jouer un moment de bonne humeur, cela donne du talent, tout d’un coup ce n’est pas manichéen. Parfois, des scènes nous ennuient, donc on essaie de s’en débarrasse­r le plus vite possible et ça donne un moment fort. C’est passionnan­t. Mais oui, il est vrai qu’il me ressemble. Avec en plus la durée du tournage, je me demandais parfois si c’est Vincent qui se déguise en Simon, qui endosse son costume, ou le contraire.

Cette durée de préparatio­n pour une série a-t-elle été une épreuve?

Je vois cette série comme un grand film. Sauf qu’avec une série, il y a évidemment davantage de temps et d’argent. Vous pouvez figer le personnage dans une expression dans sa voiture pendant plusieurs secondes, cela fait une image forte en émotion: ça ne se ferait pas en cinéma, vous n’en avez ni le temps ni l’occasion. Si D’argent et de sang avait été un film, cela aurait été un petit polar d’une heure trente. Je ne suis pas sûr que nous aurions pu développer la relation de Simon avec sa fille, ni sa dimension religieuse.

Avez-vous été sensible au côté engagé de la série?

C’est un plus. Quand je reçois un scénario, je ne me demande pas: «Tiens, est-ce qu’il y aura une cause dedans?» J’ai fait de nombreux films considérés comme pas engagés – encore que, la définition est délicate. Même Barbie, c’est social!

On imagine que c’était peut-être un rôle difficile, par sa densité et, à nouveau, la durée…

C’est peut-être – je dis bien peut-être – le rôle le plus politique que j’ai joué de toute ma carrière. Simon est un magistrat, il porte costume et cravate, mais c’est une personne incroyable­ment engagée. Il est un censeur de l’ordre et de la morale, pas au sens autoritair­e, juste dans la dimension sociale et démocratiq­ue. C’est un grand démocrate, un homme bien élevé, éduqué, courtois, poli, travailleu­r jusqu’à l’obsession – car il est aussi obsessionn­el. Au fond, chacun aimerait être Simon. Tout le monde a une vengeance à régler avec son père, sa mère, son frère ou sa soeur, sa femme, son patron, un fournisseu­r, un artisan… Tout le monde a été bafoué, humilié, trahi; et Simon dit stop, basta, je vais arrêter ce cirque. C’est un personnage qui crie à tout le monde que l’impunité, c’est terminé. Et l’impunité est la chose la plus révoltante du monde.

Etes-vous intervenu pour infléchir votre personnage?

On discute. J’ai plaidé pour qu’il y ait davantage de scènes à propos de sa fille. C’est fou de voir la puissance de quelqu’un au travail, et à quel point Simon est dépendant de son enfant. Il est démuni, perdu dans une situation abyssale. Nous avons aussi beaucoup travaillé sur la religion, sa recherche d’identité par la foi.

Au final, cette expérience de longue série…?

Nous disions le mot: c’est démocratiq­ue, au fond. Cela vient chez vous, vous pouvez visionner dans la pièce que vous voulez, revoir un épisode quatre fois ou une scène dix fois… C’est la propriété autant des auteurs, des acteurs que des gens. Je n’ai d’ailleurs jamais été autant arrêté dans la rue. N. Du. ■

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