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Si vous avez… 5 x 45’ «Squeezie. Merci Internet»

Jadis, il était le secret bien gardé des préados, leur compagnon de piaule, le maître de leurs écrans. Mais voilà longtemps que son succès a transcendé les génération­s et, désormais, toutes ou presque connaissen­t son nom: Squeezie. A 28 ans, il est le premier youtubeur français avec 18 millions d'abonnés – sans compter son label de musique, sa marque de vêtements, son équipe d'e-sport… Gameur devenu petit prince du web, Lucas Hauchard est un pro de l'image: ce n'était qu'une question de temps avant qu'il n'hérite de son documentai­re.

A l'image de Montre jamais ça à personne, la série qui retraçait l'ascension d'Orelsan au sommet du rap français parue sur Amazon Prime en 2021, voilà Squeezie. Merci Internet sur la même plateforme. Cinq épisodes qui retournent à l'origine du mythe: un jeune geek qui se cache le soir pour jouer à la console – bref, un ado des années 2010.

On découvre son enfance en banlieue parisienne et comment cet autodidact­e malingre de 15 ans s'affiche sur YouTube pour la première fois. Le début d'une success story que beaucoup verront d'un mauvais oeil… ou ne verront pas du tout venir.

C'est ça que la série fait de mieux: capturer le dialogue de sourds entre une jeunesse biberonnée à internet et ses aînés, le fossé entre ce nouvel espace de liberté et les médias traditionn­els – en donnant la parole aux premiers concernés, des talents français comme la vidéaste Natoo ou les rapeurs Bigflo et Oli. N'en déplaise aux grincheux, la conquête Squeezie est exponentie­lle, les publicitai­res le courtisent, les vidéos se font délirantes (dont un «Trouver Charlie» géant avec 1600 figurants).

Signé par sa boîte de production, le documentai­re évite les zones d'ombre (la rupture avec son mentor Cyprien), mentionne en coup de vent le #MeToo de YouTube, évoque des échecs dont Squeezie se relève toujours. Un narratif qui veut qu'on admire et qu'on plaigne ce bourreau de travail solitaire, lui qui n'a jamais pu vivre une «vraie adolescenc­e» – le voilà parti en road-trip «sans prise de tête» avec une bande de copains. Des passages qui n'intéresser­ont pas grand monde…

Acquise à la cause de son sujet, Merci Internet a pour elle de raconter un pan de notre culture populaire et le parcours d'un monstre capable de divertir les 10 à 40 ans. De rappeler que Squeezie et son empire multiplate­forme, longtemps dédaignés, sont là pour rester. La preuve au dernier épisode, avec l'inaugurati­on en grande pompe… de sa statue au Musée Grévin. Virginie Nussbaum

Une série documentai­re de Théodore Bonnet (2024) à voir sur Prime Vidéo.

Si vous avez… 10 x 55’ «Fargo»

Il est question de kidnapping, on revient donc au début, au film des frères Coen de 1996. On y suivait l'atroce odyssée de l'enlèvement d'une épouse par des brigands miteux mandatés par son mari, pour la rançon. Là aussi, il est question de rapt et d'une épouse d'ascendance richissime – la mère, cette fois. Sauf qu'à nouveau, dans le cinquième chapitre de Fargo (sur MyCanal et Blue TV), rien ne se passe comme prévu, et la personne enlevée elle-même nie avoir été brutalisée.

La victime est incarnée par Juno Temple, la Keeley de Ted Lasso, mère, épouse et actrice parfaite avec ses «Yaa» en fin de presque chaque phrase. Tout commence par une assemblée de parents d'élèves qui tourne mal – l'auteur nous fait comprendre que cela peut arriver, dans le Minnesota. Embarquée, la femme sans histoire se fait enregistre­r au poste, ce qui la propulse dans les bases de données et déclenche immédiatem­ent l'intérêt d'un personnage massif et singulier, venu de son passé, que campe Jon Hamm.

Puis elle est enlevée, donc, et parvient à se libérer avec une étonnante agilité. Elle retrouve son gentil mari (David Rysdahl), fils d'une capitaine d'industries fortunée et méprisante (Jennifer Jason Leigh). Laquelle est certaine qu'il s'agit d'un montage orchestré par sa racketteus­e de belle-fille.

La rafle d'une personne qui tourne mal, des scénarios défaits, un petit couple avec mari attentionn­é et femme maligne, le soupçon d'une arnaque: nombre d'ingrédient­s du film d'origine sont là, mais le créateur et auteur central Noah Hawley les a jetés dans un shaker et secoués pour donner un nouveau cocktail – bien frappé. La cinquième saison, qui marque les 10 ans de l'aventure, montre que Fargo

n'a rien perdu de son panache tordu.

Plus sans doute que la quatrième livraison, plus classique, la collection d'histoires prouve une fois encore son génie propre, saisi à la source des Coen. Cette manière de fabriquer des intrigues tarabiscot­ées tout en les faisant porter par des personnage­s flous quoique réels, à leur manière. Et Noah Hawley fait à nouveau merveille avec cette écriture sophistiqu­ée autant que retorse. N. Du.

Une série de Noah Hawley (2023) à voir sur MyCanal et Blue TV.

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