Où vont les mots?
Elles sont plus rares alors on les apprécie d’autant plus. Je veux parler des cartes de voeux. J’ai tourné et retourné dans mes mains celle des Editions Art&fiction. Côté face, une envolée de silhouettes d’oiseaux avec leurs noms, au crayon, inscrits en dessous: étourneau, martinet noir, hirondelle des cheminées, etc. Côté pile, une citation: «Où vont les mots? 150 nouveaux mots entrent chaque année dans le dictionnaire. Les sorties ne s’effectuent que tous les dix ans, lors de la refonte. […] Certains mots ne s’entendent plus car ils ont vieilli, on dit aussi qu’ils s’endorment. Très rarement, ils réapparaissent.» Le tout est signé Naomi Del Vecchio, une artiste qui explore les liens entre texte et dessin, autrice notamment de
Cailloux et autres pierres.
Dans la rêverie déclenchée par cette carte, je me suis souvenue d’un été vrombissant de chaleur dans la Drôme. Le château de Suzela-Rousse offrait un escalier superbement élégant plongé dans une fraîcheur d’oasis. Mais le clou de la visite se situait à l’extérieur, dans le grésillement des herbes sèches. «Le château de Suze-la-Rousse possède un jeu de paume» indiquait le papillon distribué aux visiteurs. La tradition orale veut que le jeu en question ait été construit en trois jours et trois nuits juste avant l’arrivée, à la fin de l’été 1564, de Charles IX, alors âgé de 14 ans, et de sa mère, Catherine de Médicis. Difficile d’imaginer aujourd’hui le succès rencontré par l’ancêtre du tennis auprès des élites européennes entre le XVIe et le XVIIIe siècle. L’engouement était encore à son comble à la veille de la Révolution française. La tornade de 1789 lui a porté un coup fatal, condamnant les bâtiments qui lui étaient dédiés à la conversion ou à la ruine.
De cette passion sportive évanouie, il reste pourtant des traces, tenaces, entêtantes. Les expressions du jeu de paume n’ont pas disparu, bien que personne, en les prononçant, ne fasse plus le lien avec leur bain originel. Ainsi «prendre la balle au bond» désignait la volée. La chasse était le nom d’un point particulier. Lorsqu’il était marqué, les joueurs changeaient de côté. Le joueur au service perdait sa place favorable… On disait alors: «Qui va à la chasse, perd sa place.» Le verbe peloter désignait les échanges de balle faites pour le plaisir, sans compter les points. Le mot est vite devenu un synonyme de badiner. Le sol du jeu de paume était fait de carreaux de terre cuite. Le perdant «restait sur le carreau».
Tels des oiseaux virevoltants, les mots traversent les ciels du temps. Dorénavant, certains feront retentir des tonnerres d’applaudissements dans des gradins depuis longtemps disparus.
■