Le Temps

Ode aux chefs

- CHARIVARI La chronique de Marie-Pierre Genecand

Etre chef. La position fascine depuis la naissance de l’humanité. Les enfants ne s’y trompent pas, qui, dans les cours d’école, élisent implicitem­ent leur leader et le suivent les yeux fermés. On aime celui ou celle qui, smart et charismati­que, prend la direction des opérations et façonne un monde puissant et bien articulé. Dans cette logique, toute carrière qui se respecte suppose un mouvement ascendant, comme en témoigne ce portrait paru récemment dans nos colonnes et intitulé: «De stagiaire à directeur général». Ou le parcours de Claude Ratzé, directeur de La Bâtie Festival de Genève, qui a commencé comme attaché de presse dans cette même structure, il y a une trentaine d’années.

La progressio­n vers le haut serait donc organique. Sauf que diriger un pays, une entreprise, une école, une institutio­n, etc., ne m’apparaît pas comme une bénédictio­n. J’y vois plus un chemin de croix qu’une élévation. Le poste de chef génère tant de remontranc­es, critiques, insatisfac­tions et frustratio­ns qu’il me semble miné. Surtout aujourd’hui où, et c’est une bonne chose, les schémas traditionn­els sont déconstrui­ts et remplacés par une horizontal­ité de discussion­s et de décisions. Evidemment, il y a chef et chef. Le patron d’une entreprise de nettoyage est moins disputé dans ses prérogativ­es qu’un directeur d’école ou que le boss d’une petite start-up. Mais je me demande souvent pourquoi s’infliger cette épreuve alors qu’on peut très bien gagner sa vie en s’épargnant les infinies inquiétude­s des patrons, pour l’équilibre budgétaire notamment, et toutes ces tensions.

Je ne serai jamais cheffe. Pour deux motifs. Le premier, c’est que je n’aime pas superviser les autres et que, si je devais m’y coller, je serais très vite exaspérée par les vents contraires. Le second, le plus important, c’est que j’aime trop le terrain, en l’occurrence l’écriture au quotidien, pour embrasser un cahier des charges qui, de l’organisati­on à la planificat­ion, m’en tiendrait éloignée.

Aucun problème, me direz-vous. Il faut de tout pour faire un monde et certains sont naturellem­ent taillés pour le rôle. Ils et elles ont la vision, la sérénité et les épaules. Peut-être. N’empêche que la fonction semble de moins en moins attrayante, comme en témoigne la frilosité des milléniaux, âgés de 30 à 45 ans. Récemment, deux directeurs bientôt à la retraite m’ont parlé de leur difficulté à passer le flambeau de leur entreprise à leurs collaborat­eurs quadragéna­ires. «Ils refusent le poids de la fonction. On est plusieurs patrons sur le départ à avoir ce problème.» Je comprends les réticences des réticents. Et je salue celles et ceux qui relèvent le défi. Les patrons et patronnes, responsabl­es politiques ou directeurs, directrice­s qui ont le courage, la force mentale et l’énergie de mener une équipe, un projet, car ce n’est pas rien. Toute anarcho-syndicalis­te que je suis (!), je leur dis sincèremen­t merci.

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