Le Temps

«La musique fait respirer l’esprit»

Marthe Keller endosse ce mardi à Saanen le rôle de récitante de «La Légende de la belle Maguelone», sur une musique de Brahms

- PROPOS RECUEILLII­S PAR STÉPHANE GOBBO @stephgobbo La Légende de la belle Maguelone, Who Plays Who?, pièce librement inspirée de «A Woman of Mystery» de John Cassavetes, L’Oriental, Vevey, 26-28.03.

«Je suis en train de tourner un film américain, mais je ne peux rien vous en dire. On doit attendre d’avoir le feu vert de la production…» On attendra donc avant d’en savoir plus, ce qui n’est pas si grave puisque l’objet de notre conversati­on avec Marthe Keller n’est pour une fois pas cinématogr­aphique, mais musical. La comédienne bâloise reprend mardi, dans le cadre des Sommets musicaux de Gstaad, son rôle de récitante (en allemand) dans La Légende de la belle Maguelone, de Brahms, aux côtés du baryton Christian Immler et du pianiste Fabrizio Chiovetta, et c’est de ce spectacle qui l’enthousias­me qu’elle a envie de parler entre deux prises de ce film mystérieux.

«Mais n’oubliez pas de dire aussi qu’on va reprendre à Vevey Who Plays Who?, d’après Cassavetes, qu’on a joué à Lausanne et à Fribourg,

«Il faut garder une certaine forme de naïveté»

glisse-t-elle. J’adore cette pièce de Sandra Gaudin. Vous savez, quand vous avez tourné avec Marlon Brando, John Gielgud, Laurence Olivier, Dustin Hoffman et Al Pacino, vous n’êtes ensuite jamais frustrée et vous pouvez prendre plaisir à travailler avec des gens peutêtre moins connus, mais qui ont des qualités humaines magnifique­s.»

D’où vous vient votre passion pour la musique? J’ai découvert la musique vers 7 ans grâce à la danse classique. Je rêvais d’être danseuse, mais à la suite d’un accident de ski, j’ai été obligée d’arrêter et je suis devenue, par hasard, actrice. J’ai alors un peu oublié la musique, jusqu’au jour où le chef Seiji Ozawa a cherché une fille pour remplacer Meryl Streep, qui tournait un film qui avait pris du retard, pour une production de Jeanne d’Arc au bûcher, d’Arthur Honegger. Il m’avait vue en plein air à Salzbourg et s’était rendu compte que j’avais une voix qui porte puisque j’avais fait beaucoup de théâtre. Il m’a engagée comme récitante, et depuis trente ans je travaille finalement autant dans la musique que dans le théâtre et le cinéma. J’ai été récitante dans Perséphone de Stravinsky et Songe d’une nuit d’été de Mendelssoh­n, et j’ai aussi mis en scène plusieurs opéras.

Quels souvenirs gardez-vous de ce «Jeanne d’Arc» sous la direction de Seiji Ozawa? Il a été le premier à me donner ma chance. Grâce à lui, j’ai ensuite eu la chance de travailler avec les plus grands orchestres du monde, avec les philharmon­ies de Vienne, Berlin, Florence, New York, Leipzig… Au total, j’ai dû jouer dans 25 production­s de Jeanne d’Arc dans le monde entier, notamment avec Kurt Mazur et Charles Dutoit.

Et en 2013, vous avez récité à l’Opéra de Paris «La Légende de la belle Maguelone», ce spectacle que vous jouez mardi à Saanen… C’est Philippe Jourdan qui me l’avait proposé. Il voulait m’accompagne­r au piano, mais comme il dirigeait le Ring de Wagner, il n’y est finalement pas arrivé et il a engagé un autre pianiste. Depuis, je l’ai refait à plusieurs reprises, car j’adore cette oeuvre. Quand Renaud Capuçon m’a demandé de faire quelque chose à Gstaad pour les enfants, je lui ai tout de suite proposé La Légende de la belle Maguelone. C’est un conte de fées qui, grâce à la partition de Brahms, peut permettre d’éveiller les enfants à la musique. Car il ne faut pas sous-estimer les enfants; on peut leur proposer autre chose que toujours Pierre et le loup.

Comment fonctionne votre trio avec Christian Immler et Fabrizio Chiovetta? L’important, c’est l’écoute. Quand je parle, je suis obligée d’écouter chaque note du chanteur afin de rester dans la même atmosphère. L’oeuvre est écrite comme cela, il faut juste être absolument honnête et ne pas se sentir plus importante que le texte de Ludwig Tieck, qui est quand même aussi le traducteur allemand de Shakespear­e. Le texte a été écrit à la fin du XVIIIe siècle, il est un peu désuet, mais il faut rester dans le ton de cette langue qui n’est pas celle d’aujourd’hui. Il y a des mots que je ne connais même pas, mais c’est d’une telle poésie, avec des choses très naïves.

Considérez-vous votre voix comme un instrument? Je ne me pose pas cette question. Ma voix, c’est ma voix, le piano, c’est le piano, et le chanteur, c’est le chanteur… On s’entend tellement bien que je ne veux pas analyser notre trio. Du moment où vous êtes honnête, que vous acceptez ce texte et que vous êtes concentrée, l’histoire emporte tout. L’honnêteté est ce qui compte le plus. Il faut garder une certaine forme de naïveté quand on s’adresse aux enfants, mais aussi aux adultes. J’adore travailler avec la musique, écouter les chanteurs. Quand on fait comme moi beaucoup de cinéma et de théâtre, ça fait respirer l’esprit.

par Marthe Keller (récitante), Christian Immler (baryton) et Fabrizio Chiovetta (piano), église de Saanen, mardi 30 janvier à 10h (entrée libre). Sommets musicaux de Gstaad, jusqu’au 3 février.

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