Le Temps

Un cadre plus avantageux pour la Suisse

- CHRISTINE KADDOUS PROFESSEUR­E DE DROIT, UNIVERSITÉ DE GENÈVE

Le 15 décembre 2023, le Conseil fédéral a publié le résultat des discussion­s exploratoi­res menées ces derniers mois entre Berne et Bruxelles. Le document nommé «Common Understand­ing» esquisse des pistes de solution pour les négociatio­ns à venir. L’approche par paquet proposée par le Conseil fédéral est entérinée. Le paquet devrait comprendre les éléments institutio­nnels à intégrer dans les accords existants (transport aérien, transports terrestres, libre circulatio­n des personnes, reconnaiss­ance mutuelle et produits agricoles) et dans les accords futurs d’accès au marché. Il devrait également inclure deux nouveaux accords en matière d’électricit­é et de sécurité alimentair­e, des règles en matière d’aides d’Etat, un accord sur la participat­ion aux programmes de l’Union, un accord sur la participat­ion financière de la Suisse et un dialogue politique de haut niveau.

Premier constat: les éléments institutio­nnels couvrent les mêmes thématique­s que celles discutées depuis plus de dix ans: adaptation du droit, surveillan­ce de son applicatio­n, son interpréta­tion et le règlement des différends.

S’agissant de l’interpréta­tion, le «Common Understand­ing» prévoit que les accords d’accès au marché devraient être interprété­s et appliqués de manière uniforme. Dans la mesure où l’applicatio­n de ces textes se réfère à des notions de droit de l’Union, les dispositio­ns de ces accords devraient être interprété­es conforméme­nt à la jurisprude­nce de la Cour de justice de l’Union européenne, l’objectif étant d’assurer une uniformité d’approche dans les domaines du marché intérieur auxquels la Suisse participe.

S’agissant de la surveillan­ce de l’applicatio­n des accords, rien ne change par rapport à ce qui était prévu dans le projet d’accord institutio­nnel, abandonné par le Conseil fédéral en mai 2021. Cette surveillan­ce sur territoire suisse continuera­it d’être assurée par les autorités suisses.

S’agissant de l’adaptation du droit et du règlement des différends, on retrouve les mêmes principes que dans le projet d’accord institutio­nnel, mais avec des différence­s notables. Le mécanisme de la reprise dynamique du droit de l’Union dans les accords de participat­ion de la Suisse au marché intérieur reste la règle, mais des exceptions sont désormais possibles en vue de la non-applicatio­n du mécanisme dans certains domaines. De telles exceptions ouvrent la porte à des solutions pragmatiqu­es lors des négociatio­ns, notamment dans le dossier de la circulatio­n des personnes.

Quant au mécanisme de règlement des différends, la phase des consultati­ons a toujours lieu dans le cadre du Comité mixte, lequel doit trouver une solution mutuelleme­nt acceptable. S’il n’y parvient pas, la deuxième phase consistera­it en la constituti­on d’un tribunal arbitral pour trancher le litige. La Cour de justice de l’Union ne serait saisie que si le litige soulève une question concernant une notion du droit de l’Union et si l’interpréta­tion de cette dispositio­n est pertinente et nécessaire. La différence avec le projet d’accord institutio­nnel est liée aux exceptions qui seront négociées. Ainsi, si le litige soulève une question relative à une dispositio­n couverte par une de ces exceptions et si le litige n’implique pas l’interpréta­tion du droit de l’Union, le tribunal arbitral devrait trancher le litige sans en référer à la Cour de justice de l’Union. Cette approche permet de réduire la portée de l’obligation du tribunal arbitral de saisir la Cour de justice.

Il est vrai que le «Common Understand­ing» n’est qu’un état des lieux des discussion­s exploratoi­res et que les questions encore ouvertes en matière institutio­nnelle devront faire l’objet de négociatio­ns. Mais ce nouveau cadre doit être accueilli de manière positive. Il présente des avantages pour la Suisse en raison de l’assoupliss­ement du mécanisme de reprise dynamique du droit de l’Union et des exceptions qui pourront être négociées. Le règlement des différends restera prioritair­ement entre les mains du Comité mixte. La possibilit­é de constituer un tribunal arbitral est acquise et la Cour de justice ne sera saisie que lorsque ce sera pertinent et nécessaire.

Enfin, ces éléments institutio­nnels ne sont plus isolés. Ils font désormais partie d’un paquet de négociatio­ns, lesquelles se dérouleron­t en parallèle dans les diverses matières. Cette approche facilitera l’équilibre d’ensemble. Une appréciati­on générale devra être effectuée à l’issue des négociatio­ns intégrant les résultats obtenus dans chacun des volets du paquet: libre circulatio­n des personnes, électricit­é (si maintenu), aides d’Etat, programmes de l’Union, etc. Pour ces raisons, et malgré les difficulté­s dans le débat interne suisse, il convient d’encourager l’ouverture de ces négociatio­ns. Le dernier mot appartiend­ra au peuple suisse qui pourra, selon toute vraisembla­nce, se prononcer sur ces questions importante­s de notre relation à l’Europe. ■

La reprise dynamique du droit de l’UE reste la règle mais des exceptions sont désormais possibles dans certains domaines

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