Un appel aux armes et à la résilience face à la guerre
«Le mur de Berlin est tombé il y a trente-cinq ans. La fin de la Guerre froide faisait disparaître la menace existentielle qui pesait sur l’Europe inaugurant l’ère des dividendes de la paix. Tous les pays baissèrent leur garde, diminuant leurs dispositifs de défense. Des conflits subsistaient cependant: mais aucune grande puissance ne menaçait le continent européen.»
Le ministre de la Défense du Royaume-Uni, Grant Shapps, a décrit en ces termes la situation internationale, dans un discours tenu à Londres le 15 janvier dernier. Nous avons cru, ajoute-t-il, que la paix était au coin de la rue: mais en fait nos adversaires remobilisaient. Et de rappeler les attaques illégales de la Russie: l’annexion de la Crimée il y a dix ans n’a pas suscité de réaction, à la différence de la brutale invasion de l’Ukraine en 2022. La Chine de son côté teste la patience de l’Occident. A l’époque, nous pensions avoir affaire à des acteurs rationnels. Mais de nouvelles puissances nucléaires, ou en voie de le devenir, se sont jointes à ces pays: la Corée du Nord, qui développe son arsenal nucléaire, et l’Iran, qui enrichit l’uranium à 83,7%, soit à un niveau pour lequel il n’y a pas d’usage civil. Ces nouveaux venus sont beaucoup plus instables et irrationnels. La doctrine nucléaire du régime de Kim Jong-un ou des Gardiens de la révolution n’a pas la clarté de celle qui prévalait entre l’Est et l’Ouest – la destruction mutuelle assurée. Ces quatre pays font cause commune dans leurs entreprises belliqueuses – la Russie utilise des drones iraniens et des missiles nord-coréens en Ukraine. Pour autant, le spectre du terrorisme et les menaces d’acteurs armés non étatiques persistent, comme on l’a vu le 7 octobre 2023.
L’ensemble de ces facteurs déchire l’ordre international fondé sur des règles. L’ONU constate que le nombre de conflits violents n’a jamais été aussi élevé sur la planète. Le monde est devenu plus dangereux. Aujourd’hui, point n’est besoin de grimper dans un tank, un sous-marin ou un bombardier pour provoquer misère et chaos. Les cyberattaques se multiplient, les satellites tueurs deviennent opérationnels; nombre de ces attaques proviennent de Russie ou de Chine. L’immigration elle-même est utilisée comme une arme pour déstabiliser les démocraties, comme c’est arrivé en Pologne, en Suède et en Finlande. Dans cinq ans, nous pourrions voir augmenter le nombre de théâtres d’opérations menées par la Russie, la Chine, la Corée du Nord et l’Iran.
Ces propos sont à rapprocher de déclarations plus explicites encore, émanant de hauts responsables militaires de l’OTAN: l’amiral Rob Bauer, président du comité militaire de l’Alliance, ou le ministre allemand de la Défense, Boris Pistorius, ou encore les chefs d’état-major général du Royaume-Uni, Sir Patrick Sanders ou de Suède, Micael Byden. Tous constatent que les armées dont ils ont la charge manquent d’effectifs, notamment de spécialistes formés aux nouvelles technologies; ils partent de l’idée qu’une guerre est possible dans deux, trois, cinq ou vingt ans. Ils estiment qu’il ne suffit pas de pousser la préparation militaire pour parer à ce danger. Il convient également de sensibiliser les opinions publiques et de cultiver la résilience au sein de nos sociétés.
Ils s’appuient notamment sur les leçons tirées de la guerre d’Ukraine et sur l’impact que les tirs en mer Rouge peuvent avoir sur le commerce mondial et l’économie de nos pays. Les expériences de défense totale en Finlande et en Suède sont précieuses pour les autres membres de l’OTAN. Enfin, la possible élection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis met en jeu la viabilité des relations transatlantiques. Sans doute, certains des pays qui s’alarment sont-ils situés sur une ligne de front potentielle. L’Institut stratégique RUSI de Londres s’en fait l’écho. Mais la propagation des tensions, la cristallisation des opérations de guérilla peuvent s’étendre de proche en proche du fait de l’action d’Etats «désinhibés» et nous toucheraient aussi: le réarmement ne suffit pas, l’éducation de la société à la résilience est aussi cruciale devant le risque de guerre. ■