Les forces américaines et leur commandant Joe Biden dans une position intenable
Après la mort de trois soldats américains en Jordanie dans une frappe attribuée à une milice pro-iranienne, le président américain promet des représailles. Jusqu’où ira-t-il?
Jusqu'à ce week-end, Tower 22 était une base discrète perdue dans le désert aux confins de la Jordanie. Ce camp, où seraient basés 350 soldats américains, a soudainement été propulsé en une de l'actualité, avec la mort de trois militaires dans une attaque de drones dimanche à l'aube par une milice pro-iranienne. Trente-quatre autres soldats américains ont été blessés. La Résistance islamique en Irak a ensuite revendiqué trois attaques mais, dit-elle, en territoire syrien.
Tower 22 est apparemment une base logistique permettant d'approvisionner la base syrienne d'Al-Tanf toute proche mais de l'autre côté de la frontière, en territoire bien plus hostile. Située stratégiquement sur l'autoroute entre Damas et Bagdad, cette seconde base avait joué un rôle crucial dans la guerre contre l'Etat islamique, qui avait établi un immense califat à cheval entre la Syrie et l'Irak entre 2013 et 2017. L'organisation terroriste avait été vaincue avec le soutien d'une coalition internationale menée par les Etats-Unis. Mais Washington a maintenu des troupes sur place, officiellement pour lutter contre la résurgence des djihadistes. Les Etats-Unis disposent de 900 soldats en Syrie et de 2500 autres en Irak.
Confronter l’Iran
Pourtant, il y a un autre but: contrer les milices iraniennes et l'influence grandissante du régime des mollahs en Irak et en Syrie. «L'administration Trump n'en faisait pas mystère, rappelle Paul R. Pillar, chercheur associé au centre d'études de sécurité à l'Université de Georgetown et cadre de la CIA jusqu'en 2005. L'ancien conseiller à la sécurité national John Bolton assurait que les Etats-Unis ne se retireraient pas d'Irak tant que l'Iran n'en ferait pas de même.»
Depuis l'attaque du Hamas contre Israël et le début de la guerre contre Gaza le 7 octobre dernier, les forces américaines en Irak et en Syrie ont essuyé plus de 150 agressions de la part de milices pro-iraniennes. Mais c'est la première fois que les Etats-Unis subissent des pertes. Dans un communiqué dimanche, le président américain, Joe Biden, a promis de faire payer les responsables de ces attaques «en temps et de la manière voulus». Lundi matin sur la chaîne CNN, l'amiral John Kirby, porte-parole du Conseil de sécurité nationale, a agité la menace d'une réponse «très importante».
Pression électorale
La Maison-Blanche se laisse le temps de la réflexion mais elle est sous une pression intense. Les Etats-Unis sont en année électorale. Donald Trump, l'adversaire plus que probable de Joe Biden le 5 novembre prochain, l'a immédiatement accusé dimanche soir de «faiblesse» face à l'Iran. Dans un communiqué publié dimanche soir, l'ancien président s'est vanté d'avoir mis l'Iran à genoux. L'attaque en Jordanie «ne se serait jamais produite si j'étais président (…) de même que l'attaque du Hamas soutenue par l'Iran et l'invasion de l'Ukraine», écrit-il.
Mais Donald Trump se garde d'appeler à des frappes américaines sur le territoire iranien, comme l'ont fait plusieurs élus républicains. Une telle escalade risquerait d'entraîner les Etats-Unis dans une guerre directe contre la République islamique et embraserait tout le Moyen-Orient. «Les seules réponses possibles à ces attaques sont des représailles dévastatrices contre les forces terroristes iraniennes, à la fois en Iran et au Moyen-Orient. Toute réaction plus faible confirmerait que Joe Biden est un lâche indigne d'être notre commandant en chef», a réagi au contraire le sénateur républicain de l'Arkansas Tom Cotton. A l'égard de l'Iran, le débat fait rage au sein du parti entre les faucons et un courant isolationniste de plus en plus puissant.
«Des cibles faciles»
Dans tous les cas, le retrait des troupes américaines de Syrie et d'Irak, malgré leur exposition, n'est plus à l'ordre du jour. La semaine dernière, le Pentagone annonçait pourtant l'ouverture de discussions avec le gouvernement irakien, de plus en plus remonté contre la présence américaine, sur le futur de la mission contre l'Etat islamique. «Cette menace ne nécessite pas le maintien des troupes sur place qui sont devenues des cibles faciles pour les milices pro-iraniennes», plaide Paul R. Pillar. Cet expert également associé au Centre de politique de sécurité à Genève (GCSP) est bien conscient que le moment n'est plus propice à un tel retrait, qui serait interprété comme un «aveu de faiblesse».
Quelle est l'alternative? «Je ne crois pas aux discours ressassés sur la restauration de la dissuasion américaine. Une fois que nous aurons frappé nos ennemis, ceux-ci voudront répondre à nos attaques», répond Paul R. Pillar. Les Etats-Unis ont tué début janvier le chef d'une milice pro-iranienne à Bagdad. «Cela n'a pas enrayé les attaques», pointe le chercheur. Mais il concède: «Politiquement, la mort de trois soldats nécessite une réponse différente. J'espère que l'administration Biden résistera aux appels à frapper directement l'Iran et trouvera des cibles liées à l'Iran dans la région, pour éviter une escalade. Il faudrait ensuite que les choses se calment pour rapatrier nos soldats.» De leur côté, les autorités irakiennes ont condamné lundi l'attaque de drones ayant tué trois militaires américains, appelant à «stopper la spirale de la violence». En attendant, le Moyen-Orient retient son souffle. ■