«Si l’Italie appelle, l’Albanie est là»
Une partie des demandeurs d’asile devraient bientôt être «délocalisés» vers l’Albanie. L’accord conclu par les chefs de gouvernement des deux pays a été approuvé la semaine dernière par les autorités transalpines et, hier, par les secondes
Elle avait reporté sa décision à plusieurs reprises mais hier, l’annonce est tombée: par cinq voix sur quatre, la Cour constitutionnelle d’Albanie a donné son feu vert pour «délocaliser» sur le sol albanais des personnes demandant l’asile en Italie. L’accord avait été conclu le 6 novembre entre le premier ministre Edi Rama et son homologue italienne Giorgia Meloni. Il est comparé à celui passé entre le Royaume-Uni et le Rwanda, que la Chambre des Lords vient du reste de désavouer en dépit des précautions prises pour ne pas entrer en contradiction avec le droit international et les règles européennes en matière d’asile. Dans le cas italo-albanais, seules des personnes assistées en mer qui n’auront pas posé le pied sur sol italien pourront être conduites en Albanie. Le camp qui les accueillera jouira d’une forme d’extraterritorialité.
C’est ce dernier point qui a motivé la saisine de la Cour constitutionnelle albanaise par 30 députés d’opposition. Ces derniers dénoncent un «abandon de souveraineté» sur des portions du territoire national, en l’occurrence le port de Shëngjin et l’ancienne base aérienne de Gjadër, dans le nord du pays, qui servira de centre d’accueil. Il pourrait accueillir 3000 personnes, pour un total de 39 000 par an, ce qui suppose une très grande et peu réaliste rapidité de traitement des demandes d’asile. L’ensemble des frais de gestion, de séjour et de surveillance des centres, ainsi que le rapatriement des personnes déboutées, sera pris en charge par l’Italie.
Une «dette» problématique
Le 6 novembre, Edi Rama déclarait qu’il n’aurait «pas conclu cet accord avec n’importe quel autre Etat de l’UE. La dette que nous avons envers l’Italie n’est pas payée. Si l’Italie appelle, l’Albanie est là.» Ces propos avaient suscité de vives réactions en Albanie. L’analyste Fatos Lubonja se demandait bien à quelle «dette» le premier ministre faisait référence, non sans rappeler que l’Italie de Mussolini avait envahi l’Albanie en 1939. Pour lui, la relation entre les deux pays reste de nature «néocoloniale», alors que des dizaines de milliers d’Albanais se sont exilés en Italie après la chute du communisme dans l’espoir d’une vie meilleure.
Edi Rama assure qu’en dehors des frais induits par le séjour des demandeurs d’asile, aucune compensation financière ne sera demandée à Rome. Du reste, l’Albanie est déjà venue à la rescousse de l’Italie en 2018, en accueillant une vingtaine de migrants à bord d’un navire bloqué dans le port de Catane, que le ministre de l’Intérieur de l’époque, Matteo Salvini, refusait de laisser débarquer.
En réalité, l’Albanie accueille beaucoup de monde. En 2013, Sali Berisha, le prédécesseur d’Edi Rama, avait signé un accord avec les Etats-Unis, dont les termes exacts n’ont jamais été rendus publics. Il prévoyait le transfert de 230 moudjahidins du peuple iranien, des opposants au régime de Téhéran, alors réfugiés en Irak. Edi Rama s’est empressé d’élargir la collaboration et le camp d’Ashraf 3, non loin du port de Durrës, abrite désormais 3000 Iraniens, qui ont reconstitué une petite ville fermée sur l’extérieur.
En août 2021, après la chute de Kaboul, l’Albanie a reçu, comme le Kosovo et la Macédoine du Nord voisins, d’anciens collaborateurs afghans des forces internationales évacués dans la plus totale confusion. Ces derniers devaient résider dans les Balkans le temps que leur demande de visa pour les EtatsUnis ou un pays tiers soit examinée. Beaucoup ont obtenu le précieux sésame, mais on ne sait rien de ceux à qui on l’a refusé. Seule la police du Kosovo a indiqué que «quelques dizaines de personnes» n’avaient pas obtenu l’asile, assurant «garder le contact» avec elles, sans vouloir révéler leur localisation…
L’adhésion à l’UE en vue
Malgré les dénégations de son premier ministre, l’Albanie monnaie probablement son accueil contre deniers sonnants et trébuchants. L’enjeu est cependant plus politique qu’économique. Chef du Parti socialiste (PS), Edi Rama affiche son «amitié» avec tous les chefs successifs du gouvernement italien, «l’ami Renzi», «l’ami Di Maio», et désormais la néofasciste Giorgia Meloni. Avec ses offres de service répétées, Edi Rama veut montrer combien son pays sait «prendre ses responsabilités» et mérite donc de rejoindre l’Union européenne, avec qui les négociations d’adhésion ont à peine commencé.
Quant au gouvernement italien, il bien décidé à ouvrir au plus vite les centres d’accueil, probablement de manière à pouvoir communiquer sur ce «transfert de charges» en Albanie avant les prochaines élections européennes. Le pacte italo-albanais pourrait aussi faire des émules. Déjà en 2015, l’Union européenne envisageait l’ouverture de hot spots destinés aux migrants hors de ses frontières, par exemple en Tunisie ou… en Albanie. Désormais, des pays comme l’Autriche, la Croatie ou la Hongrie pourraient être tentés de négocier l’ouverture de centres d’accueil en Bosnie-Herzégovine ou en Serbie.
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