Le Temps

Le bruit de l’aéroport de Zurich cristallis­e les mécontente­ments

- BORIS BUSSLINGER, ZURICH @BorisBussl­inger

Le canton votera le 3 mars prochain sur l’allongemen­t de deux de ses trois pistes d’atterrissa­ge. Même si la décision reviendra aux habitants, les questions soulevées par ce type de nuisances sonores intéressen­t bien au-delà de ses frontières – jusqu’en Allemagne

A peine entamée, la conversati­on est interrompu­e par un grondement sourd. Directeur de l'Associatio­n de protection de la population autour de l'aéroport de Zurich (SBFZ), Robert Bänziger lève les yeux vers un quadriréac­teur de Swiss en pleine ascension. L'avion déchire le ciel quelques centaines de mètres au-dessus des balcons d'Opfikon, commune du grand Zurich collée au bout de la piste 34 de l'aéroport de Kloten. Sans que beaucoup de gens semblent encore y prêter attention.

«Il va à Los Angeles», informe le connaisseu­r, téléphone ouvert sur l'applicatio­n Flightrada­r24, qui permet de visualiser l'ensemble des avions du globe sur une carte interactiv­e. L'appareil disparaît derrière un immeuble et le calme revient. «Imaginez ça quand vous dormez, et vous comprendre­z qu'il peut être difficile de fermer l'oeil», soupire-t-il. En dépit d'un large front opposé à l'expansion de l'aéroport, la lutte semble toutefois perdue d'avance, estiment les résistants. Sans pour autant la juger inutile.

A quelques voix près

De quoi parle-t-on? Le 3 mars, la population du canton de Zurich est appelée aux urnes pour déterminer si – oui ou non – deux des trois pistes du plus grand aéroport de Suisse doivent être allongées de respective­ment 400 et 280 mètres. Le processus politique derrière cette votation est complexe. Actionnair­e à 33% de Zürich Flughafen AG, le canton de Zurich possède également trois sièges au conseil d'administra­tion. Or, pour réaliser son projet, l'aéroport a besoin que le canton le soumette à la Confédérat­ion, compétente sur les questions de trafic aérien. A quelques voix près, l'exécutif zurichois a reçu l'assentimen­t du Grand Conseil pour aller de l'avant. Toutefois une possibilit­é de référendum facultatif existe sur cette décision. Et elle a été saisie.

Actuelleme­nt, la situation est la suivante: en journée, les avions atterrisse­nt depuis le nord et décollent à l'ouest. Toutefois l'Allemagne ferme son espace aérien en début de soirée, obligeant les appareils à se poser depuis l'est, tandis qu'ils décollent vers le nord et virent de bord avant la frontière. Comme la piste est-ouest est plus courte, les gros-porteurs nocturnes doivent cependant atterrir au sud… ce qui bloque les décollages vers le nord – car les pistes se croisent – et suscite retards et nuisances sonores en soirée.

Une «tolérance» jusqu’à 23h30

L'allongemen­t des infrastruc­tures, argumenten­t les partisans du projet – les milieux économique­s, les vert'libéraux, Le Centre, le PLR et l'UDC cantonaux –, permettra de réduire les croisement­s est-ouest, de gagner en efficacité et de réduire les retards – et donc le bruit en soirée.

«Nous sommes pour un développem­ent qualitatif plutôt que quantitati­f, qui respecte les riverains» ROBERT BÄNZIGER, DIRECTEUR DE L’ASSOCIATIO­N DE PROTECTION DE LA POPULATION AUTOUR DE L’AÉROPORT DE ZURICH (SBFZ)

Mais alors pourquoi s'opposer aux plans sur la table? «Si les avions n'attendent plus pour se croiser, Kloten accueillir­a davantage de mouvements et il n'y aura pas moins de vols en soirée, diagnostiq­ue Robert Bänziger, ingénieur de métier. L'aéroport est une société privée, qui vise le profit.» Un argument repris par les partis de gauche, qui déplorent que ni Kloten ni le Conseil d'Etat n'aient promis que l'extension des pistes n'entraînera pas davantage de vols. A noter que contrairem­ent à Genève Cointrin, qui opère entre 6h et 22h, l'aéroport de Kloten accueille des vols jusqu'à 23h, avec une «tolérance» jusqu'à 23h30. «Après ça, il faut une autorisati­on spéciale, dit Robert Bänziger. Ce n'est pas forcément tous les soirs mais c'est courant. L'autre jour, un vol pour le Kilimanjar­o est passé à 1h30 du matin.» Une situation qui suscite beaucoup de mécontents.

Plus de 100 communes riveraines (dont Winterthou­r) regroupées dans diverses associatio­ns sont en effet opposées au projet – quoique, avantagées par les travaux prévus, celles situées au nord des pistes sont plutôt en faveur du plan sur la table. Et les cantons ne sont pas en reste. Si la Thurgovie «s'abstient de commenter l'objet, qui doit être tranché par les Zurichois», l'Argovie dit ainsi «soutenir un allongemen­t des pistes» mais annonce que ce n'est qu'«à condition qu'il permette davantage de tranquilli­té la nuit» alors que, fait rare, le gouverneme­nt saint-gallois a frontaleme­nt pris position contre les travaux, «de crainte que cela conduise à une augmentati­on des mouvements aériens au détriment de la Suisse orientale».

Au-delà des frontières suisses, la votation est également scrutée de près par le sud de l'Allemagne, dont plusieurs villages qui ont déploré «le manque de soutien de Berlin sur le sujet». En 2012, un accord entre les deux pays aurait pu clarifier la répartitio­n des préjudices dans l'espace transfront­alier. Mais la Suisse s'en est retirée. Et la conversati­on sur le sujet s'est terminée.

Un rôle de chien de garde

Malgré cette levée de boucliers, Robert Bänziger est résigné. «Je ne pense pas que nous gagnerons, dit-il. Mais ça vaut quand même la peine de se battre. Nous avons notamment pu obtenir que les taxes d'atterrissa­ge liées au bruit soient plus élevées la nuit. Ce qui pousse plus les compagnies à reporter les vols bruyants au lendemain ou à utiliser des avions plus silencieux. Grâce à nous, le repos nocturne a également été prolongé d'une heure en 2011 (les avions volaient auparavant jusqu'à minuit). Nous jouons un rôle de chien de garde pour que Kloten ne dépasse pas les bornes. Nous ne sommes pas anti-aéroport, nous connaisson­s son importance économique et ses nombreuses places de travail (1700 employés sur place, plus de 30 000 de manière indirecte). Mais nous sommes pour un développem­ent qualitatif plutôt que quantitati­f, qui respecte les riverains. D'autant que les environs font partie d'une des régions qui se développe le plus rapidement du pays.»

Des arguments qui ne semblent pas suffire: d'après un sondage mené en fin d'année dernière, deux tiers des votants approuvera­ient les travaux. Une décision d'autant plus indolore (pour ceux qui ne souffrent pas du bruit) que les 250 millions de francs devisés pour le projet seront entièremen­t assumés par l'aéroport.■

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