Le Temps

«La solution pour aider les ados, c’est l’esprit collectif»

La structure «Notre avenir à tous» publie son baromètre du moral des adolescent­s. Symptômes dépressifs en baisse, angoisses toujours élevées… Tour d’horizon avec son instigatri­ce, Hélène Roques, qui enjoint de passer des constats à l’action

- PROPOS RECUEILLIS PAR CÉLIA HÉRON @celiaheron

Hélène Roques nous parle d'un temps que les plus de 20 ans ne peuvent plus connaître: l'adolescenc­e, ses orages et ses embellies, ses angoisses et ses espoirs. L'experte en responsabi­lité sociale, fondatrice de la structure française spécialisé­e dans les questions de jeunesse «Notre avenir à tous», et autrice de Sauvons nos enfants (Ed. Robert Laffont), produit depuis dix ans des enquêtes les concernant. Son dernier «baromètre des adolescent­s», que Le Temps a pu consulter avant sa parution le 1er février, sonde le moral d'un échantillo­n national représenta­tif de 1000 jeunes de 11 à 15 ans. Elle en esquisse les tendances utiles au-delà de l'Hexagone.

«Il est crucial d’avoir des passions et des vocations»

Dans quel contexte et dans quel but a été réalisée cette étude? Nous abordons une épidémie mondiale: la dégradatio­n de la santé mentale des adolescent­s. Cette enquête, menée depuis trois ans avec la professeur Karine Lamiraud, [titulaire de la chaire innovation et santé de l'Essec, ndlr] vise à passer de l'alerte à l'action.

Dans quelle mesure l’étude peut-elle être pertinente au-delà de l’échantillo­n français? Cette génération, façonnée par le téléphone dès le berceau et le confinemen­t à la puberté, fait face à des chocs mondiaux. Nous explorons le mal-être des adolescent­s de manière transversa­le, en analysant la santé mentale, l'accès aux soins, la difficulté à en parler, l'impact sur la scolarité et l'anxiété liée aux actualités. Des thèmes comme l'hyperconne­xion et le cyberharcè­lement sont mondiaux. Nous confronton­s les données obtenues en la matière, avec celles sur l'ennui en classe (en hausse de 3 points cette année, pour atteindre 39%!). Parmi les élèves, 19% d'entre eux consultent leur téléphone portable en classe secrètemen­t dès qu'ils en ont l'occasion. Ce qui nous amène à nous demander comment aborder les questions éducatives, indépendam­ment de celles de la connexion en continu, y compris pendant les cours.

Quels principaux points ressortent de ce baromètre? Il ressort une incapacité de la génération des parents à créer un monde intelligib­le pour leurs enfants. L'anxiété liée aux enjeux écologique­s est désormais égalée, voire dépassée, par celle résultant de la perception du monde et des violences. Dans ce contexte, les élèves développen­t une crainte vis-à-vis des notes. Ce qui s'explique par le besoin de satisfaire les parents (adultes de référence, à 82%), eux-mêmes inquiets pour l'avenir de leurs enfants. Il est urgent de diffuser de l'optimisme, en investissa­nt dans l'engagement collectif.

Comment? Il est crucial d'avoir des passions et des vocations. Accompagne­r les choix d'orientatio­n, ouvrir les portes des écoles et permettre aux élèves de se représente­r des métiers sont des actions essentiell­es. Il faut ressentir la joie de se projeter pour se saisir de tous les outils afin de se construire. Le premier d'entre eux étant l'école.

Les indicateur­s évaluant le niveau de dépression sont en baisse cette année. Faut-il en déduire qu’en nous éloignant de la pandémie, le moral tend à remonter? Parmi les adolescent­s, 49% de ceux de 11 à 16 ans présentent des symptômes d'anxiété, et 41% des symptômes dépressifs, légèrement en baisse par rapport à 2022. L'espoir d'une améliorati­on émerge, surtout pour les jeunes filles qui, aujourd'hui âgées de 15 ans, voient les choses s'améliorer. Mais pour que cette lueur se confirme, il va falloir agir.

Quelles actions concrètes pourraient être mises en oeuvre, selon vous? Je milite pour le principe de la coéducatio­n. Les enfants passent plus de temps éveillé à l'école avec leurs professeur­s qu'à la maison avec leurs parents. Leur temps libre se passe sur des trajets, dans des centres d'animation, dans la rue, devant leurs immeubles. Ils sont besoin que les adultes qui les élèvent se parlent et coopèrent. Encore une fois, la solution, c'est l'esprit collectif. Pas de smartphone à l'école? On peut interdire, légiférer. Mais cela ne suffira pas. A chaque communauté éducative de trouver sa solution pérenne. Des contrats d'objectifs propres à chaque établissem­ent pourraient être établis pour que parents, enfants, professeur­s et chefs d'établissem­ent se fixent des objectifs et les atteignent ensemble.

Certains résultats vous ont-ils surprise? Il me semble surprenant que seulement 44% des adolescent­s expriment l'aspiration d'avoir des enfants un jour. Comment l'expliquer? Les parents souffrent, tant profession­nellement que dans leur rôle parental. Il est nécessaire de mieux soutenir une parentalit­é adaptée au monde actuel.

Quelles conclusion­s tirez-vous ici en matière de différence­s entre les jeunes filles et les jeunes garçons, s’il y en a? Hormis l'angoisse à la remise d'une note (63% des filles sont concernées contre 56% des garçons), les filles souffrent davantage de maux de tête et de maux de ventre (39%, contre 32% pour les garçons). Mais pour les filles comme pour les garçons, il serait salutaire d'insister davantage dans les programmes sur l'éducation aux transforma­tions du corps et hormonales à cet âge. Les sujets sont souvent abordés en quelques jours. Le climat scolaire gagnerait à une connaissan­ce très approfondi­e du corps, afin d'aider chacun à adopter puis à aimer le sien, et à en prendre soin.

Allons-nous vers une sensibilis­ation accrue, depuis la pandémie, aux questions de santé mentale? La sensibilis­ation augmente, mais la mise en oeuvre des actions concrètes et l'évaluation des résultats reste un défi. La société dans son ensemble doit devenir plus cohérente, coopérativ­e et empathique autour des adolescent­s pour véritablem­ent améliorer leur santé mentale. Le premier ministre français Gabriel Attal, qui a enclenché des actions dans ce sens, est très attendu sur ce point dans sa déclaratio­n de politique générale pour porter l'espoir pour la jeunesse, qu'il incarne. ■

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland