Le Temps

Pourquoi Holcim veut se scinder en deux

Grandes manoeuvres chez le fabricant suisse de matériaux de constructi­on, qui veut coter séparément son activité nord-américaine, et surfer ainsi sur la vague de réindustri­alisation aux Etats-Unis

- ALEXANDRE BEUCHAT @beuchat_a

Plus de huit ans après sa fusion avec son concurrent français Lafarge, Holcim franchit une nouvelle étape importante de son histoire. Le cimentier, basé à Zoug, sera scindé en deux entreprise­s. L’opération, annoncée durant le week-end, «devrait créer beaucoup de valeur pour nos actionnair­es, a souligné hier le président et directeur général, Jan Jenisch. Nous allons créer deux champions et accélérer la croissance des deux compagnies.»

En plein essor, la branche américaine a réalisé l’an dernier des ventes de plus de 11 milliards de dollars (9,4 milliards de francs), soit environ un tiers du chiffre d’affaires total du groupe. Depuis quatre années, son taux de croissance annuel moyen dépasse 20%. Seule une entreprise «complèteme­nt indépendan­te permettra d’exploiter le potentiel aux EtatsUnis», a affirmé Jan Jenisch. La cotation à New York devrait être effective au premier semestre 2025. Cette stratégie d’autonomisa­tion doit permettre à la nouvelle entité d’atteindre d’ici à 2030 un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards de dollars et un résultat opérationn­el (EBIT) de plus de 5 milliards.

Une transforma­tion d’envergure

«Holcim n’est pas trop grand, mais l’est suffisamme­nt pour se scinder en deux entreprise­s», relève Jan Jenisch, chargé de piloter l’opération. A ses yeux, la transactio­n est gagnante pour toutes les parties. Centrées sur l’Europe, l’Amérique latine, l’Asie, le MoyenOrien­t et l’Afrique, les activités restantes du groupe devraient générer un chiffre d’affaires d’environ 22 milliards de francs d’ici à 2030. La cotation au SMI, l’indice vedette de la bourse suisse, n’est pas remise en question, assure l’Allemand d’origine. «Nous avons également une stratégie de croissance pour le siège suisse. Aucune suppressio­n de postes n’est prévue.»

La stratégie d’Holcim est le résultat d’une profonde refonte de son portefeuil­le. Si, à l’époque du rapprochem­ent avec Lafarge, le groupe était actif principale­ment dans le ciment, d’autres matériaux de constructi­on ont depuis gagné en importance. A la tête du groupe depuis 2017, Jan Jenisch a multiplié les acquisitio­ns ces dernières années.

Holcim s’est séparé de cimenterie­s, le plus souvent dans des pays émergents, notamment au Brésil et en Inde. Grâce à l’argent tiré de ces ventes, la multinatio­nale a investi dans des solutions de constructi­on plus innovantes, dont la production nécessite moins de capitaux et émet moins de CO2 que le ciment. L’éventail est vaste, allant des matériaux de toiture et d’isolation aux revêtement­s de sol, en passant par la chimie du bâtiment.

Le groupe a notamment beaucoup investi aux Etats-Unis, où il possède désormais 850 sites. La prometteus­e division «Solutions & Products» y réalise déjà environ un tiers du chiffre d’affaires. Près de la moitié des recettes américaine­s sont générées par les rénovation­s et les réparation­s. S’appuyant sur sa position de leader, l’activité nord-américaine est idéalement positionné­e, souligne Holcim, pour tirer parti du bond des dépenses de constructi­on et des investisse­ments dans les infrastruc­tures, «qui ne se produisent qu’une fois par génération».

Perspectiv­es au beau fixe, malgré Trump

«Nous allons créer deux champions et accélérer la croissance des deux compagnies»

JAN JENISCH, PATRON DE HOLCIM

Les perspectiv­es pour le marché nord-américain sont au beau fixe grâce notamment à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Joe Biden. Doté d’un budget d’environ 370 milliards de dollars, ce vaste plan incite les entreprise­s à investir sur le sol américain et à y construire des usines, soutenant par ricochet la croissance de fabricants de matériaux de constructi­on comme Holcim. La présidenti­elle américaine et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ne semblent du reste pas trop inquiéter Holcim. «Je ne vois pas de risque d’un changement de cap. La réindustri­alisation restera probableme­nt une priorité pour n’importe quel gouverneme­nt», estime Jan Jenisch.

Dans la foulée, la multinatio­nale a nommé l’actuel patron des opérations européenne­s, l’Australien Miljan Gutovic, au poste de directeur général. Il remplacera au 1er mai Jan Jenisch, qui restera président du conseil d’administra­tion. Bien qu’aucun détail n’ait filtré, les investisse­urs ont réservé un accueil favorable à l’annonce. La structure finale de la future entité devra être dévoilée en seconde partie d’année. Une assemblée générale extraordin­aire devra par ailleurs valider la transactio­n au premier trimestre 2025.

«Alors que certains investisse­urs pensaient que la vitesse de la transforma­tion d’Holcim pourrait ralentir à la suite de l’importante activité de fusion et d’acquisitio­n des trois dernières années, l’intention de la société de se séparer de son activité nord-américaine démontre l’importance qu’elle accorde à la création de valeur», résume dans une note Mark Diethelm, analyste chez Vontobel. Le titre Holcim a terminé la séance d’hier sur une hausse de 4,70%.

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