Pourquoi Holcim veut se scinder en deux
Grandes manoeuvres chez le fabricant suisse de matériaux de construction, qui veut coter séparément son activité nord-américaine, et surfer ainsi sur la vague de réindustrialisation aux Etats-Unis
Plus de huit ans après sa fusion avec son concurrent français Lafarge, Holcim franchit une nouvelle étape importante de son histoire. Le cimentier, basé à Zoug, sera scindé en deux entreprises. L’opération, annoncée durant le week-end, «devrait créer beaucoup de valeur pour nos actionnaires, a souligné hier le président et directeur général, Jan Jenisch. Nous allons créer deux champions et accélérer la croissance des deux compagnies.»
En plein essor, la branche américaine a réalisé l’an dernier des ventes de plus de 11 milliards de dollars (9,4 milliards de francs), soit environ un tiers du chiffre d’affaires total du groupe. Depuis quatre années, son taux de croissance annuel moyen dépasse 20%. Seule une entreprise «complètement indépendante permettra d’exploiter le potentiel aux EtatsUnis», a affirmé Jan Jenisch. La cotation à New York devrait être effective au premier semestre 2025. Cette stratégie d’autonomisation doit permettre à la nouvelle entité d’atteindre d’ici à 2030 un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards de dollars et un résultat opérationnel (EBIT) de plus de 5 milliards.
Une transformation d’envergure
«Holcim n’est pas trop grand, mais l’est suffisamment pour se scinder en deux entreprises», relève Jan Jenisch, chargé de piloter l’opération. A ses yeux, la transaction est gagnante pour toutes les parties. Centrées sur l’Europe, l’Amérique latine, l’Asie, le MoyenOrient et l’Afrique, les activités restantes du groupe devraient générer un chiffre d’affaires d’environ 22 milliards de francs d’ici à 2030. La cotation au SMI, l’indice vedette de la bourse suisse, n’est pas remise en question, assure l’Allemand d’origine. «Nous avons également une stratégie de croissance pour le siège suisse. Aucune suppression de postes n’est prévue.»
La stratégie d’Holcim est le résultat d’une profonde refonte de son portefeuille. Si, à l’époque du rapprochement avec Lafarge, le groupe était actif principalement dans le ciment, d’autres matériaux de construction ont depuis gagné en importance. A la tête du groupe depuis 2017, Jan Jenisch a multiplié les acquisitions ces dernières années.
Holcim s’est séparé de cimenteries, le plus souvent dans des pays émergents, notamment au Brésil et en Inde. Grâce à l’argent tiré de ces ventes, la multinationale a investi dans des solutions de construction plus innovantes, dont la production nécessite moins de capitaux et émet moins de CO2 que le ciment. L’éventail est vaste, allant des matériaux de toiture et d’isolation aux revêtements de sol, en passant par la chimie du bâtiment.
Le groupe a notamment beaucoup investi aux Etats-Unis, où il possède désormais 850 sites. La prometteuse division «Solutions & Products» y réalise déjà environ un tiers du chiffre d’affaires. Près de la moitié des recettes américaines sont générées par les rénovations et les réparations. S’appuyant sur sa position de leader, l’activité nord-américaine est idéalement positionnée, souligne Holcim, pour tirer parti du bond des dépenses de construction et des investissements dans les infrastructures, «qui ne se produisent qu’une fois par génération».
Perspectives au beau fixe, malgré Trump
«Nous allons créer deux champions et accélérer la croissance des deux compagnies»
JAN JENISCH, PATRON DE HOLCIM
Les perspectives pour le marché nord-américain sont au beau fixe grâce notamment à l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Joe Biden. Doté d’un budget d’environ 370 milliards de dollars, ce vaste plan incite les entreprises à investir sur le sol américain et à y construire des usines, soutenant par ricochet la croissance de fabricants de matériaux de construction comme Holcim. La présidentielle américaine et le possible retour de Donald Trump à la Maison-Blanche ne semblent du reste pas trop inquiéter Holcim. «Je ne vois pas de risque d’un changement de cap. La réindustrialisation restera probablement une priorité pour n’importe quel gouvernement», estime Jan Jenisch.
Dans la foulée, la multinationale a nommé l’actuel patron des opérations européennes, l’Australien Miljan Gutovic, au poste de directeur général. Il remplacera au 1er mai Jan Jenisch, qui restera président du conseil d’administration. Bien qu’aucun détail n’ait filtré, les investisseurs ont réservé un accueil favorable à l’annonce. La structure finale de la future entité devra être dévoilée en seconde partie d’année. Une assemblée générale extraordinaire devra par ailleurs valider la transaction au premier trimestre 2025.
«Alors que certains investisseurs pensaient que la vitesse de la transformation d’Holcim pourrait ralentir à la suite de l’importante activité de fusion et d’acquisition des trois dernières années, l’intention de la société de se séparer de son activité nord-américaine démontre l’importance qu’elle accorde à la création de valeur», résume dans une note Mark Diethelm, analyste chez Vontobel. Le titre Holcim a terminé la séance d’hier sur une hausse de 4,70%.
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