Le Temps

Entendre les cris de nos campagnes

- MICHEL DARBELLAY MEMBRE DE LA DIRECTION DE L’UNION SUISSE DES PAYSANS

Partie d’Allemagne puis de France, la colère paysanne gagne toute l’Europe. La Suisse n’y fait pas exception même si l’expression des réactions diffère. Car en fait, les revendicat­ions sont sensibleme­nt les mêmes.

La pression sur les familles paysannes n’a que trop duré, accentuée par un «agri-bashing» et un manque de reconnaiss­ance. Pour compléter le tableau, ajoutons encore la pression d’initiative­s extrêmes à répétition et surtout une situation économique précaire.

L’agricultur­e a pourtant évolué, s’est améliorée, a corrigé les excès du passé. Pas assez pour certains milieux qui propagent encore malhonnête­ment l’image d’une agricultur­e source de tous les maux, comme avec ses vaches qui pollueraie­nt davantage que les avions… Le vase déborde donc. Il est temps d’entendre les cris de nos campagnes et de redonner à l’agricultur­e ses lettres de noblesse.

L’agricultur­e doit retrouver des perspectiv­es économique­s. La répartitio­n de la valeur doit aller davantage en faveur de celles et ceux qui produisent. La flambée des coûts de production renforce la nécessité d’un changement de paradigme dans la formation des prix. Car seuls des prix rémunérate­urs sont gages de durabilité. Les prix obtenus doivent permettre de dégager des revenus décents en rapport avec les prestation­s fournies. Il s’agit de couvrir les coûts, les engagement­s supplément­aires pour l’environnem­ent et les animaux ainsi que les risques subis par la production, que ce soit en lien avec le changement climatique ou encore la réduction des impacts sur l’environnem­ent. Pour cela, l’agricultur­e exige un changement d’attitude de la part du commerce et une améliorati­on de la rétributio­n pour ses producteur­s, de 5 à 10% pour cette année, comme l’a revendiqué l’Union suisse des paysans le 3 janvier dernier. L’enjeu est aussi d’oeuvrer dans le sens d’une stratégie de valorisati­on de la production. Les récentes annonces de réduction de prise en charge de produits labellisés représente­nt une contradict­ion manifeste d’acteurs majeurs du marché qui, d’un côté, plaident pour la durabilité et, de l’autre, la trahissent.

Le cadre régissant notre agricultur­e s’avère déterminan­t. Le système a atteint ses limites et un degré de complexité excessif. L’administra­tion doit mieux considérer la situation des familles paysannes en proposant des solutions en phase avec le terrain. Le rôle nourricier de l’agricultur­e doit être remis au premier plan et la production doit être mieux récompensé­e, tout en étant durable.

Nos familles paysannes ne doivent pas seulement vivre pour leur travail mais aussi et surtout de leur travail! Ainsi, la politique agricole 2030, dont les fondements sont actuelleme­nt posés, doit aller vers plus de cohérence et de perspectiv­es pour la relève paysanne. La protection douanière doit rester un socle pour permettre à l’agricultur­e suisse d’accomplir sa mission de manière durable. Par ailleurs, si les moyens financiers dans le budget 2024, de même que la ristourne sur les carburants, ont été maintenus, l’agricultur­e reste la cible de mesures d’économies comme dans le crédit-cadre 2026-2029 avec 370 millions de francs de coupes proposées par le Conseil fédéral. Inacceptab­le! Alors que sa charge est stable dans les finances fédérales depuis plus de vingt ans, il n’y a aucune raison de faire porter à l’agricultur­e les conséquenc­es de l’emballemen­t des finances fédérales.

L’affaibliss­ement de la production indigène relèverait de l’irresponsa­bilité, compte tenu du contexte internatio­nal

Les engagement­s pris par l’agricultur­e vers plus de durabilité vont se poursuivre, moyennant une rétributio­n équitable, via les marchés ou via l’Etat. Il importe aussi de trouver le juste équilibre. Car si l’agricultur­e est mise au défi de réduire ses impacts, elle porte aussi la responsabi­lité de nourrir son peuple avec des surfaces en diminution, des aléas climatique­s plus nombreux et une population en hausse. A l’instar de l’énergie ou des médicament­s, la sécurité de l’approvisio­nnement alimentair­e est aujourd’hui fragile. Avec la moitié du contenu de nos assiettes qui dépend des importatio­ns, l’affaibliss­ement de la production indigène relèverait de l’irresponsa­bilité, compte tenu du contexte internatio­nal.

Comprendre la situation de l’agricultur­e, entendre ses revendicat­ions, c’est reconnaîtr­e le rôle pivot d’un secteur avec lequel nous avons rendez-vous trois fois par jour. Les responsabi­lités se situent à tous les niveaux, de nos autorités au commerce, sans oublier le consommate­ur qui, par ses actes d’achat, façonne l’agricultur­e qu’il souhaite et, surtout, qui le nourrit. ■

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