Entendre les cris de nos campagnes
Partie d’Allemagne puis de France, la colère paysanne gagne toute l’Europe. La Suisse n’y fait pas exception même si l’expression des réactions diffère. Car en fait, les revendications sont sensiblement les mêmes.
La pression sur les familles paysannes n’a que trop duré, accentuée par un «agri-bashing» et un manque de reconnaissance. Pour compléter le tableau, ajoutons encore la pression d’initiatives extrêmes à répétition et surtout une situation économique précaire.
L’agriculture a pourtant évolué, s’est améliorée, a corrigé les excès du passé. Pas assez pour certains milieux qui propagent encore malhonnêtement l’image d’une agriculture source de tous les maux, comme avec ses vaches qui pollueraient davantage que les avions… Le vase déborde donc. Il est temps d’entendre les cris de nos campagnes et de redonner à l’agriculture ses lettres de noblesse.
L’agriculture doit retrouver des perspectives économiques. La répartition de la valeur doit aller davantage en faveur de celles et ceux qui produisent. La flambée des coûts de production renforce la nécessité d’un changement de paradigme dans la formation des prix. Car seuls des prix rémunérateurs sont gages de durabilité. Les prix obtenus doivent permettre de dégager des revenus décents en rapport avec les prestations fournies. Il s’agit de couvrir les coûts, les engagements supplémentaires pour l’environnement et les animaux ainsi que les risques subis par la production, que ce soit en lien avec le changement climatique ou encore la réduction des impacts sur l’environnement. Pour cela, l’agriculture exige un changement d’attitude de la part du commerce et une amélioration de la rétribution pour ses producteurs, de 5 à 10% pour cette année, comme l’a revendiqué l’Union suisse des paysans le 3 janvier dernier. L’enjeu est aussi d’oeuvrer dans le sens d’une stratégie de valorisation de la production. Les récentes annonces de réduction de prise en charge de produits labellisés représentent une contradiction manifeste d’acteurs majeurs du marché qui, d’un côté, plaident pour la durabilité et, de l’autre, la trahissent.
Le cadre régissant notre agriculture s’avère déterminant. Le système a atteint ses limites et un degré de complexité excessif. L’administration doit mieux considérer la situation des familles paysannes en proposant des solutions en phase avec le terrain. Le rôle nourricier de l’agriculture doit être remis au premier plan et la production doit être mieux récompensée, tout en étant durable.
Nos familles paysannes ne doivent pas seulement vivre pour leur travail mais aussi et surtout de leur travail! Ainsi, la politique agricole 2030, dont les fondements sont actuellement posés, doit aller vers plus de cohérence et de perspectives pour la relève paysanne. La protection douanière doit rester un socle pour permettre à l’agriculture suisse d’accomplir sa mission de manière durable. Par ailleurs, si les moyens financiers dans le budget 2024, de même que la ristourne sur les carburants, ont été maintenus, l’agriculture reste la cible de mesures d’économies comme dans le crédit-cadre 2026-2029 avec 370 millions de francs de coupes proposées par le Conseil fédéral. Inacceptable! Alors que sa charge est stable dans les finances fédérales depuis plus de vingt ans, il n’y a aucune raison de faire porter à l’agriculture les conséquences de l’emballement des finances fédérales.
L’affaiblissement de la production indigène relèverait de l’irresponsabilité, compte tenu du contexte international
Les engagements pris par l’agriculture vers plus de durabilité vont se poursuivre, moyennant une rétribution équitable, via les marchés ou via l’Etat. Il importe aussi de trouver le juste équilibre. Car si l’agriculture est mise au défi de réduire ses impacts, elle porte aussi la responsabilité de nourrir son peuple avec des surfaces en diminution, des aléas climatiques plus nombreux et une population en hausse. A l’instar de l’énergie ou des médicaments, la sécurité de l’approvisionnement alimentaire est aujourd’hui fragile. Avec la moitié du contenu de nos assiettes qui dépend des importations, l’affaiblissement de la production indigène relèverait de l’irresponsabilité, compte tenu du contexte international.
Comprendre la situation de l’agriculture, entendre ses revendications, c’est reconnaître le rôle pivot d’un secteur avec lequel nous avons rendez-vous trois fois par jour. Les responsabilités se situent à tous les niveaux, de nos autorités au commerce, sans oublier le consommateur qui, par ses actes d’achat, façonne l’agriculture qu’il souhaite et, surtout, qui le nourrit. ■