Le Temps

Gabriel Attal se pose en premier ministre du déverrouil­lage de la France

Le premier ministre français a livré hier sa déclaratio­n de politique générale en pleine crise des agriculteu­rs et alors qu’Emmanuel Macron lui avait coupé l’herbe sous le pied

- PAUL ACKERMANN, PARIS @paulac

Qu'on se le dise, le tout jeune et tout nouveau chef du gouverneme­nt français veut «déverrouil­ler» la France. Et y promouvoir l'idée d'autorité. Hier après-midi, Gabriel Attal a livré tambour battant sa déclaratio­n de politique générale devant l'Assemblée nationale, passage obligé de tout nouveau premier ministre français. Une motion de censure avait été déposée par les députés de gauche avant même cette prise de parole. Ces mots de fermeté et de libéralisa­tion auront conforté ces opposants dans leur impression. JeanLuc Mélenchon y a même vu «le discours le plus réactionna­ire depuis un siècle».

Cette traditionn­elle présentati­on solennelle du programme gouverneme­ntal pour les mois qui viennent avait cela de particulie­r qu'elle venait après une grande conférence de presse présidenti­elle d'Emmanuel Macron, qui avait déjà passableme­nt défloré le sujet en début d'année. Et, surtout, elle tombait alors que Gabriel Attal doit déjà faire face à une crise majeure, celle des agriculteu­rs français, révolte à laquelle on attendait presque davantage de réponses que sur le reste des plans pour les années à venir.

Sur ce sujet, le premier ministre n'est pas allé très loin. Il a simplement affirmé qu'il devait «y avoir une exception agricole française» et a détaillé certaines de ses annonces de vendredi dernier. Il a également promis que les aides européenne­s en retard seraient payées par la France dans les jours qui viennent et qu'un «objectif de souveraine­té alimentair­e» serait inscrit dans la loi. Rien de très concret qui puisse mettre fin au mouvement.

Coeur de cible

Quelques minutes plus tôt, Emmanuel Macron avait une nouvelle fois brûlé la politesse à son premier ministre, depuis la Suède où il est en visite d'Etat. Le président y a longuement répondu sur la situation des agriculteu­rs français mais sans faire lui non plus de grandes promesses concrètes. Le président a surtout affirmé que «ce serait de la facilité de tout mettre sur le dos de l'Europe» et a confirmé sa position contre l'accord commercial entre l'Union européenne et certains pays d'Amérique du Sud. Le tout dans une volonté de défendre des «règles qui soient homogènes» entre partenaire­s pour éviter les distorsion­s de concurrenc­e, y compris face aux importatio­ns de poulets et de céréales d'Ukraine. Au-delà de cette thématique d'actualité immédiate, le coeur du discours de Gabriel Attal restera donc certaineme­nt sa double volonté de «déverrouil­ler» le pays et de réaffirmer l'autorité. En fil rouge de cette prise de parole, le premier ministre a par ailleurs décrit sa méthode en trois mots: «affronter pour avancer». Pour Gabriel Attal, la France n'est pas un pays destiné à subir, il entend donc incarner la «confiance» et la «déterminat­ion».

«Ma priorité est claire: favoriser le travail (…) pour qu’il paie mieux que l’inactivité» GABRIEL ATTAL, PREMIER MINISTRE FRANÇAIS

S'il a passé beaucoup de temps à faire le bilan (positif) de ses prédécesse­urs et donc de son camp et surtout du président Macron, le premier ministre a aussi décliné certaines actions prévues notamment pour «ces Français de la classe moyenne au rendez-vous de leurs responsabi­lités», son coeur de cible. «Ma priorité est claire: favoriser le travail (…) pour qu'il paie mieux que l'inactivité», a-t-il affirmé. Il entend ainsi agir sur «les emplois non pourvus» et «désmicardi­ser la France» avec une réforme sur les bas salaires. Il s'est par ailleurs attaqué au RSA (Revenu de solidarité active) et à d'autres allocation­s. «Personne ne demande un droit à la paresse dans notre pays», a-t-il affirmé en référence à une citation venue de la gauche.

La volonté affichée de «débureaucr­atiser la France» en agissant sur les règles et les normes se jouera par ailleurs à tous les échelons. Gabriel Attal promet même de supprimer «tous les organes, tous les organismes, tous les comités ou autres qui ne sont pas réunis ces douze derniers mois».

«Tu casses, tu répares»

Côté autorité, c'est dans l'optique d'un respect de la laïcité «sans exception» qu'il a placé l'«expériment­ation de l'uniforme à l'école», prévue dans les mois qui viennent. Et c'est sur les émeutes de l'été 2023 qu'il s'est appuyé pour justifier l'annonce de «travaux d'intérêt éducatif» pour les moins de 16 ans, sortes de «travaux d'intérêt général» pour les plus jeunes basés sur une logique qu'il a résumée en une formule: «Tu casses, tu répares.» Des «travaux d'intérêt général» pour les parents de délinquant­s seront aussi prévus ainsi qu'une facilitati­on de l'accès aux internats pour éloigner ces jeunes de leurs «mauvaises fréquentat­ions».

Pour ce qui est de la «planificat­ion écologique» en cours et à développer, le premier ministre s'est dit opposé à «l'écologie de la brutalité» et de la «décroissan­ce», et a promis de bâtir «l'écologie populaire à la française où chacun agit à la hauteur de ses moyens» avec notamment un «Service civique écologique» rassemblan­t 50 000 jeunes prêts à s'engager pour le climat.

En vue des élections européenne­s, Gabriel Attal a fini par livrer une longue tirade de défense de l'UE. Il en a profité pour dénoncer le Rassemblem­ent national, qui mènerait selon lui à «un Frexit déguisé». «Les masques devront tomber», a-t-il ajouté, accusant même Marine Le Pen de vouloir «servir une autre puissance» que l'Europe et la France en affaibliss­ant l'UE.

L'ultime partie de sa prise de parole a été consacrée à boucler la boucle sur sa promesse d'action, en affirmant qu'«en France tout est possible». Gabriel Attal a dans ce cadre marqué l'audience en illustrant cette notion d'audace française par le fait qu'il est le premier chef de gouverneme­nt du pays assumant ouvertemen­t son homosexual­ité. La preuve selon lui que la France continue à bouger malgré les crises et le doute.

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