Fin de l’impasse politique en Irlande du Nord
ROYAUME-UNI Après deux ans de paralysie, un nouveau gouvernement, dirigé pour la première fois par le Sinn Féin, va enfin pouvoir siéger à Belfast. Les unionistes du DUP ont accepté lundi soir de lever leur veto, après avoir obtenu des concessions de Londres
Le regard fatigué, la voix légèrement éraillée, Jeffrey Donaldson, le dirigeant du Parti unioniste démocrate (DUP), a pris le micro hier juste après 1h du matin pour annoncer que l'impasse paralysant l'Irlande du Nord depuis deux ans était sur le point d'être résolue. «Je suis ravi d'annoncer que l'exécutif du parti a accepté les propositions qui lui ont été soumises, a déclaré le chef de la principale formation unioniste. Le résultat était clair et le DUP a agi de façon décisive, me confiant le mandat d'aller de l'avant.»
Le gouvernement nord-irlandais, fondé sur le partage du pouvoir entre les principaux partis issus des camps unioniste et républicain, s'était effondré en février 2022, après que les élus du DUP ont boycotté le parlement, pour protester contre le protocole nord-irlandais adopté à la suite du Brexit. Ce dernier a introduit des contrôles de douane sur les biens circulant entre l'Irlande du Nord et le reste du Royaume-Uni, en échange de quoi le petit territoire conserve sa frontière ouverte avec l'Irlande. Pour les unionistes, cela introduit une frontière inacceptable en mer d'Irlande.
«Nous avons un besoin vital de stabilité politique pour affronter la crise de nos services publics» MICHELLE O’NEILL, VICE-PRÉSIDENTE DU SINN FÉIN
Des promesses difficiles à tenir
En mars dernier, le premier ministre Rishi Sunak a renégocié le protocole nord-irlandais, devenu l'accord de Windsor, avec l'Union européenne (UE) pour supprimer certains contrôles de douane et permettre au petit territoire de se soustraire à une partie de l'acquis communautaire. C'est ce document renégocié, assorti d'un certain nombre de garanties fournies par Londres, que le DUP a avalisé lundi soir, à l'issue d'une séance houleuse de plus de cinq heures en présence des 130 membres de l'exécutif du parti.
Seul hic, «Jeffrey Donaldson semble avoir fait des promesses à son camp que le gouvernement britannique peinera à tenir, lui garantissant essentiellement qu'il n'y aurait plus de frontière en mer d'Irlande», relève Katy Hayward, une sociologue politique à la Queen's University de Belfast.
Hier matin, le dirigeant du DUP a assuré que le gouvernement central «supprimera les contrôles sur les biens circulant au sein du Royaume-Uni» et «mettra fin à l'obligation pour l'Irlande du Nord de reprendre automatiquement les lois adoptées par l'UE». Mais Londres est tenu de respecter les engagements pris envers l'UE dans le cadre du Brexit, notamment les inspections à la douane, rappelle la chercheuse.
Le paquet de propositions soumis au DUP, qui doit être traduit dans la loi par Westminster, sera publié ces prochains jours. «Les divergences entre les discours de part et d'autre apparaîtront alors au grand jour», estime Katy Hayward. Les critiques risquent d'être particulièrement acerbes dans le camp unioniste. «Au sein du DUP, une frange importante estime que Jeffrey Donaldson a trahi le parti en acceptant l'accord de Windsor qu'il avait juré de ne jamais reconnaître», poursuit-elle. Lundi soir, une cinquantaine de protestataires unionistes, munis de drapeaux de l'Union Jack et de panneaux avec des slogans comme «Stop à la capitulation du DUP!» ont manifesté devant la salle dans laquelle l'exécutif du parti était réuni, à County Down.
Ces divisions pourraient se traduire par des pertes importantes dans les urnes pour le DUP lors des élections générales, qui se tiendront d'ici à janvier 2025. «Les sondages montrent que neuf électeurs DUP sur dix estiment que le parti ne doit pas retourner au gouvernement tant que l'accord de Windsor n'aura pas été annulé», dit Katy Hayward. Elle rappelle que des commentateurs et activistes proches de la branche paramilitaire des unionistes ont récemment commencé à gagner en influence et pourraient chercher à récupérer ce débat pour accroître leur soutien. «Ce serait grave, souligne-t-elle. Ces gens sont opposés à toute forme de partage du pouvoir avec les républicains.»
Une première ministre républicaine
Malgré ces tensions, le DUP et le Sinn Féin reprendront leurs discussions dès ce mercredi, pour tenter de former un nouveau gouvernement d'ici au 8 février. Cela ouvre la voie à la nomination d'une première ministre républicaine, en la personne de Michelle O'Neill, pour la première fois de l'histoire du petit territoire.
«Symboliquement, il s'agit d'un bouleversement majeur pour l'Irlande du Nord», relève Katy Hayward. Historiquement lié à l'IRA, la branche paramilitaire des républicains responsable de dizaine d'attentats meurtriers, le Sinn Féin n'a officiellement renoncé à la violence qu'en 1997, juste avant les accords du Vendredi saint qui ont mis fin à trente ans de conflit. Il a supplanté le DUP dans les urnes pour la première fois lors des élections de 2022, obtenant le poste de premier ministre, alors que les unionistes devront se contenter de celui de vice-premier ministre.
Michele O'Neill prendra le pouvoir dans un contexte marqué par la crise du système de santé nord-irlandais, grevé par des temps d'attente record, et la colère des infirmiers, enseignants et conducteurs de train qui viennent d'effectuer la plus importante grève de leur histoire. Elle semble avoir pris la mesure du défi. «Nous avons un besoin vital de stabilité politique pour affronter la crise de nos services publics», a-t-elle estimé hier. ■