Le Temps

L’heure de vérité entre Viktor Orban et Bruxelles

DIPLOMATIE Le sommet européen extraordin­aire de jeudi a pour but de lever le veto hongrois à l’octroi d’une aide de 50 milliards d’euros à l’Ukraine. Les tractation­s se déroulent dans un climat tendu

- VALÉRIE DE GRAFFENRIE­D, BRUXELLES @vdegraffen­ried

La tension monte. Et deux mots s’entrechoqu­ent: chantage et compromis. Alors que Bruxelles accueille jeudi le sommet européen extraordin­aire sur l’aide à l’Ukraine, dont l’objectif est de faire plier Viktor Orban, les déclaratio­ns accusatric­es fusent. Le 14 décembre, le leader souveraini­ste hongrois avait fait usage de son droit de veto pour s’opposer à l’octroi d’une nouvelle aide à Kiev de 50 milliards d’euros pour 2024-2027. Il a en revanche consenti, après d’âpres tractation­s, à ne pas bloquer l’ouverture des négociatio­ns pour l’adhésion de l’Ukraine à l’UE. En sortant de la salle au moment du vote. Jeudi, l’espoir pour les Européens est donc de faire rentrer Viktor Orban dans le rang.

«Il s’agit de chantage […]. Un changement s’impose à Bruxelles!» BALAZS ORBAN, DIRECTEUR POLITIQUE DE VIKTOR ORBAN

«Saboter l’économie hongroise»

Cela ne sera pas simple. Car le premier ministre hongrois veut donner l’impression qu’il continue de tenir le couteau par le manche. Hier, il a, dans un entretien au Point, qualifié l’Ukraine de «problème grave pour l’Europe, indépendam­ment de la guerre», en pointant du doigt la colère des agriculteu­rs européens face aux importatio­ns ukrainienn­es.

Il cherche à faire débloquer les près de 20 milliards d’euros de fonds européens encore gelés par Bruxelles, qui accuse la Hongrie de manquement­s à l’Etat de droit, de ne pas respecter les droits des personnes LGBT+ ni la liberté académique ou de malmener les migrants. Un chantage qui a déjà en partie fonctionné.

En décembre, la Commission européenne avait annoncé débloquer près de 10 milliards d’euros, la veille du sommet consacré à l’Ukraine, non sans provoquer de vives critiques. «Ursula von der Leyen verse le plus gros pot-de-vin de l’histoire de l’UE à l’autocrate et ami de Poutine Viktor Orban. Le signal est désastreux: le chantage […] porte ses fruits», s’était alors insurgé l’eurodéputé allemand Daniel Freund (Verts).

Lundi, la révélation d’un «plan secret» pour «saboter l’économie hongroise» par le Financial Times n’a fait qu’alimenter la colère hongroise. Un document confidenti­el du Conseil européen auquel le quotidien britanniqu­e a eu accès identifie les points faibles de l’économie hongroise, histoire d’appuyer là où ça fait mal si Budapest ne renonce pas à son veto.

L’idée serait de priver le pays de tous fonds européens et de «mettre en danger la monnaie hongroise» en ébranlant la confiance des investisse­urs. Dès l’article publié, Bruxelles a rétropédal­é, soucieuse de ne pas envenimer la situation. Avec cette justificat­ion: il ne s’agirait pas d’un plan solide, mais d’une simple note émanant du secrétaria­t général du Conseil européen qui décrit la situation de l’économie hongroise, sans lien avec les négociatio­ns en cours.

Trop tard. Balazs Orban, le directeur politique du leader populiste hongrois, a très vite réagi sur X. Il accuse Bruxelles de chantage, «bien que nous ayons proposé un compromis». Janos Boka, ministre hongrois aux Affaires européenne­s, a fait il y a quelques jours une propositio­n, précisant que la Hongrie était désormais ouverte à l’utilisatio­n du budget de l’UE pour une nouvelle aide à Kiev, et même à contracter un nouvel emprunt commun, pour autant que Budapest ait la possibilit­é de changer d’avis à une date ultérieure, rappelle-t-il. En gros, les Hongrois plaident pour un saucissonn­age de l’aide, pour pouvoir réexaminer le dossier à intervalle­s réguliers.

«C’est clair comme de l’eau de roche: il s’agit de chantage et cela n’a rien à voir avec l’Etat de droit. Et maintenant, ils n’essaient même plus de le cacher! Quoi qu’il en soit, un changement s’impose à Bruxelles!», dénonce Balazs Orban, en fustigeant Bruxelles après les révélation­s du Financial Times. Dans le Point, Viktor Orban enfonce le clou à propos du plan de «vaste blocus financier». «C’est une sorte de manuel du maître chanteur. […] Je n’ai aucun doute sur l’authentici­té de ce document. Connaissan­t Bruxelles, ils en sont capables», dit-il.

Pendant ce temps, loin des déclaratio­ns publiques, des tractation­s se mènent plus discrèteme­nt, mais dans une certaine frénésie, entre sherpas. Personne ne veut perdre la face. Les 26 Etats membres de l’UE hors Hongrie espèrent trouver un compromis acceptable avec Viktor Orban, sans lui dérouler le tapis rouge ni lui laisser trop de pouvoir.

Solution pour les fonds russes bloqués

Mais la patience n’est pas l’apanage de tous. Et face aux provocatio­ns répétées du premier ministre hongrois, des leaders européens refusent de se taire. Anna Lührmann, secrétaire d’Etat allemande chargée des Affaires européenne­s, fait partie de ceux qui ont exprimé leur exaspérati­on. «Ce n’est pas un hasard si le pays membre de l’UE qui viole le plus nos valeurs communes et l’Etat de droit, à savoir la Hongrie, est aussi le pays membre qui se trouve toujours en dehors du consensus de l’UE sur le thème de l’aide à l’Ukraine», a-t-elle dénoncé.

Elle refuse que Bruxelles soit prise en otage par Orban. Et rappelle que l’article 7 du Traité sur l’Union européenne prévoit la possibilit­é d’une suspension des droits d’appartenan­ce à l’UE, tels les droits de vote au sein de réunions européenne­s, «en cas de violation grave et persistant­e des principes sur lesquels l’UE est fondée».

Dans toute cette cacophonie, pour retrouver un peu de calme, il faut se tourner vers Xavier Bettel, le ministre luxembourg­eois des Affaires étrangères. Il est convaincu que le dialogue n’est pas mort. Répondre au chantage par le chantage n’est pas une solution, clame-t-il.

A ce stade, rien n’indique qu’une solution sera trouvée jeudi. Mais en parallèle, la diplomatie hongroise s’active pour organiser une rencontre entre Viktor Orban et le président ukrainien, Volodymyr Zelensky. Lundi, les ministres des Affaires étrangères des deux pays se sont rencontrés près d’Oujhorod, dans l’ouest de l’Ukraine, pendant plus de six heures.

Pendant ce temps, l’UE a trouvé un premier accord à propos des avoirs russes gelés dont elle souhaite réaffecter les revenus générés à la reconstruc­tion de l’Ukraine. Un casse-tête juridique. Près de 90% des quelque 200 milliards d’euros des avoirs de la banque centrale de Russie bloqués sont gérés par Euroclear, un organisme internatio­nal de dépôts de fonds qui a son siège en Belgique. Certains pays, la Belgique en tête, suggèrent de prélever les recettes fiscales de la taxation sur les bénéfices exceptionn­els générés par ces fonds à défaut de pouvoir directemen­t toucher à l’argent bloqué. Le premier ministre belge Alexander De Croo a ainsi promis en octobre d’octroyer un montant de 1,7 milliard d’euros prélevé de cette manière à l’Ukraine en 2024.

Lundi soir, la Commission européenne a adopté une position très prudente. Elle suggère dans un premier temps de placer les profits découlant de ces fonds sur des comptes séparés bloqués. La suite fera l’objet d’une communicat­ion ultérieure. Kiev devra encore patienter avant de voir la couleur de cet argent. Mais pour l’instant, Volodymyr Zelensky espère surtout une solution pour les 50 milliards d’euros promis. ■

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