Le Temps

Pierre Maudet et ses tribulatio­ns routières

GENÈVE Matinée chargée au Palais de justice hier. Le conseiller d’Etat, responsabl­e notamment des Mobilités, a comparu comme prévenu pour avoir contrevenu à la loi sur la circulatio­n routière. Avant lui, c’était au tour de l’ancien magistrat Daniel Devaud

- FATI MANSOUR @fatimansou­r

C’est presque un habitué. Pierre Maudet a gravi ce mardi les marches du Palais de justice de Genève pour comparaîtr­e en qualité de prévenu devant le Tribunal de police. Le conseiller d’Etat s’oppose à une ordonnance pénale du Service des contravent­ions qui lui inflige 2060 francs d’amende pour avoir fait preuve d’inattentio­n en heurtant un véhicule par l’arrière et pour avoir décampé sans remplir ses devoirs en cas d’accident.

Autant de reproches que le nouveau ministre de la Santé et des Mobilités, qui plaide son acquitteme­nt, conteste avec force. «Je suis certain de ne pas l’avoir percuté», affirme-t-il à l’adresse du président Yves Maurer-Cecchini. Le prétendu lésé dit tout le contraire: «Ça a fait boum. J’ai clairement senti la secousse et mes passagères aussi.»

Les faits, tels que décrits par la décision querellée, remontent au 24 mars 2023, vers 22h30. Un automobili­ste, circulant sur la route des Acacias, dit avoir été heurté par le véhicule qui le suivait dans un giratoire avant de réaliser que le responsabl­e repartait comme si de rien n’était. L’intéressé a ensuite filé la voiture en question, a noté le numéro de plaques et a dénoncé l’affaire à la police.

Après un meeting électoral

Mobilisés en une heure, les agents ont constaté des dégâts légers sur le pare-chocs arrière de la voiture du lésé et des traces sur l’avant de celle de Pierre Maudet qui était alors en pleine campagne, à une semaine du premier tour des élections cantonales. «Je sortais d’une réunion du côté de la Gravière et j’étais seul dans mon véhicule», précisera-t-il à l’audience.

Saisi d’une demande de classement émanant de Pierre Maudet (motivée par l’absence de témoins, d’images de vidéosurve­illance, de photos des dégâts sur son véhicule jointes au dossier, d’audition ultérieure individuel­le ou contradict­oire pour confirmer ou infirmer la version avancée et de constatati­ons étayées par des pièces, témoignage­s ou expertises), le Service des contravent­ions a toutefois maintenu son ordonnance initiale du 3 mai, sans se lancer dans une enquête tous azimuts, mais après avoir interpellé l’auteur du rapport de police.

Ce caporal confirmera que les dégâts sur la Volkswagen de Pierre Maudet, bien que légers, se trouvaient à la même hauteur que ceux présents sur l’autre véhicule. N’étant pas expert en carrosseri­e, il ne pouvait pas se prononcer plus en détail sur leur nature et aucune caméra n’ayant filmé l’accident, il n’y avait pas d’images disponible­s. Dans sa décision de maintien, datée du 27 septembre dernier, le même service souligne «qu’une appréciati­on objective de l’ensemble des éléments du dossier ne laisse pas subsister un doute sérieux et insurmonta­ble quant à l’existence de l’état de fait reproché». Dans ces circonstan­ces, la procédure doit se poursuivre et être tranchée par le tribunal.

Versions divergente­s

Voici donc le juge chargé de démêler tout ça et de se forger une intime conviction. Premier à passer sur le gril, Pierre Maudet se voit rappeler son salaire, sa récente condamnati­on pour acceptatio­n d’un avantage et d’autres éléments de sa situation personnell­e. S’agissant des faits, le ministre se souvient seulement d’un trafic très chargé en raison d’une sortie de match de hockey. «On roulait presque au pas.» L’autre automobili­ste a une version différente: «Les gens étaient encore dans la patinoire et la circulatio­n était encore fluide, bien que redirigée.» Pierre Maudet rappelle aussi sa grande surprise de voir débarquer trois gendarmes à son domicile le soir même pour inspecter sa voiture, lui reprocher un accident et le faire souffler pour attester de son alcoolémie, qui s’avérera négative.

Selon le ministre, les policiers ont vu de simples «griffures» sur sa plaque d’immatricul­ation, susceptibl­es d’être là depuis des lustres. Le caporal, entendu comme témoin, parlera plutôt d’un petit impact à la hauteur de l’enseigne VW. S’agissant du plaignant, Pierre Maudet assure ne pas l’avoir vu s’arrêter sur le bord de la route, ni se manifester d’aucune manière. «Je ne le connais pas et la police m’a dit plus tard qu’il ne voulait pas régler ce litige à l’amiable.» Le président souligne qu’un arrangemen­t suppose une reconnaiss­ance de responsabi­lité. «C’était plus pour dissiper un malentendu, car je ne comprenais pas ce qui s’était produit», répond le conseiller d’Etat.

Petit incident d’audience, car le conducteur fâché a assisté à l’entier des débats alors qu’il était censé rester à l’extérieur avant de témoigner. A la défense du ministre, Me Yama Sangin consent à ne pas s’opposer à son audition si le président, comme ce dernier l’a proposé, en tient compte lors de l’appréciati­on des preuves.

L’intéressé peut donc s’exprimer et il ne s’en prive pas. «La voiture derrière moi n’a pas freiné et j’ai senti le choc. Je me suis parqué sur le côté pour discuter. Je m’attendais à ce que le conducteur en fasse de même, mais il a continué alors je l’ai suivi pour essayer de l’interpelle­r à un feu rouge. A ce moment-là, je ne savais pas qui c’était, je l’ai appris le lendemain par ma soeur, qui l’a lu dans le journal. Je n’ai jamais voulu l’embêter, je voulais juste faire un constat comme tout le monde.» L’homme conteste aussi la descriptio­n assez apocalypti­que faite de son pare-chocs par le caporal, lequel a émis des doutes sur l’ampleur des dégâts causés par une possible touchette. Selon le policier, «il est difficile de croire qu’un petit heurt ait pu tous les provoquer». «J’avais fait réparer ma voiture une année auparavant à la suite d’un autre accident», assure le lésé. Photos personnell­es à l’appui, il estime à tout le moins que le bout cassé du cache, les fissures autour et un léger déplacemen­t de la structure sont bien dus à cette collision.

Une cible privilégié­e

A l’heure de plaider l’absence de preuves, la présomptio­n d’innocence, le doute qui doit ici s’imposer, voire l’erreur sur les faits pour le cas où le juge retiendrai­t malgré tout l’existence d’une collision alors que Pierre Maudet ne s’est rendu compte de rien, la défense développe aussi la théorie de la cible privilégié­e. «C’est un prévenu qui fait couler beaucoup d’encre, il est le meilleur moyen pour les médias de vendre des articles, souvent malveillan­ts. Un politicien qui polarise beaucoup. On peut légitimeme­nt se demander si c’est parce que c’est lui qu’on se retrouve devant votre tribunal.» Aux yeux de Me Sangin, c’est parole contre parole et rien ne dit que le supposé lésé ne l’avait pas effectivem­ent reconnu. «Il n’est pas exclu qu’il soit un des nombreux détracteur­s de Pierre Maudet.» Quant à son client, l’avocat assure «qu’il n’avait aucune raison de mentir et qu’il avait, dans l’hypothèse d’une collision, tout intérêt à s’arrêter et à éviter une procédure». La réponse du tribunal tombera ce jeudi. ■

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