Le Temps

La colère n’est pas toujours mauvaise conseillèr­e

- DAVID HILER CHRONIQUEU­R

La colère paysanne fait la une des médias. Elle aura eu le mérite de nous sensibilis­er aux difficulté­s rencontrée­s par de nombreux agriculteu­rs et éleveurs, en pointant notamment la disproport­ion criante entre la charge de travail qu’ils assument et le revenu net qu’ils en tirent.

Certaines revendicat­ions sont liées au volet agricole du Pacte vert de l’Union européenne (UE). D’autres remettent sur le tapis des problèmes qui lui sont bien antérieurs. En effet, la dégradatio­n des conditions de vie du monde rural ne date pas d’aujourd’hui. Pour mémoire, La Fin des paysans, un ouvrage marquant d’Henri Mendras, dont le titre résume bien le propos, est paru en 1967. Pendant les Trente Glorieuses, l’augmentati­on de la production s’est opérée par l’utilisatio­n de machines, fort efficaces mais très coûteuses, et la généralisa­tion des élevages industriel­s. D’innombrabl­es paysans, surendetté­s à la suite des investisse­ments consentis, ont jeté l’éponge. D’autres ont repris leurs terres et en ont fait des PME très rentables, grâce notamment aux subvention­s publiques.

La lente agonie du secteur s’est poursuivie. Les paysans sont confrontés à des problèmes structurel­s et subissent des injonction­s contradict­oires. Le marché dans lequel ils évoluent est fondamenta­lement déséquilib­ré. Les vendeurs – quelques dizaines de milliers d’exploitati­ons agricoles en Europe – font face à quelques dizaines de géants de la distributi­on et quelques multinatio­nales de l’agroalimen­taire. C’est le pot de terre contre le pot de fer.

Par ailleurs, depuis des décennies, l’UE a multiplié les normes tout en cherchant à conclure des accords de libre-échange avec des pays qui ne respectent pas des normes similaires, ce qui est totalement contradict­oire. Enfin, les politiques demandent au secteur agricole d’assurer la souveraine­té alimentair­e en respectant l’environnem­ent et sans augmenter les prix. A l’évidence, le niveau actuel des subvention­s ne permet pas à la majorité des agriculteu­rs et des éleveurs de répondre à cette triple exigence.

Une fois admis le droit des paysans à tirer un revenu décent de leur travail, il faut immédiatem­ent réaffirmer qu’un changement des pratiques agricoles est absolument indispensa­ble.

Prenons l’exemple le plus parlant des émissions de méthane, un redoutable gaz à effet de serre. Sur vingt ans, son pouvoir de réchauffem­ent est 80 fois supérieur à celui du CO2. Sa durée de vie dans l’atmosphère est certes plus courte mais, sur un siècle, son pouvoir de réchauffem­ent reste 28 fois supérieur à celui du CO2. Les scientifiq­ues estiment que le méthane est responsabl­e de 30% du réchauffem­ent de la planète depuis l’ère préindustr­ielle.

Or, les émissions générées par le bétail, provenant du fumier et des rejets gastrointe­stinaux, représente­nt environ le tiers des émissions de méthane d’origine humaine. Certes, il est possible de limiter les émissions de méthane en modifiant l’alimentati­on du bétail, en compostant le fumier ou en l’utilisant pour produire du biogaz. L’effet de ces différente­s mesures reste toutefois limité. La seule solution est donc de limiter notre consommati­on de viande ou, a minima, de substituer la volaille et la viande porcine à la viande bovine. Cela passe évidemment par un changement de nos habitudes alimentair­es, un processus qui est à l’oeuvre mais qui est forcément très lent.

La nécessité de donner du temps au changement paraît donc impérative. Pour les émissions de méthane, il est heureuseme­nt possible d’agir plus rapidement sur l’autre grande cause d’émission: l’extraction des énergies fossiles. Selon l’Agence internatio­nale de l’énergie, la quasi-totalité des rejets de méthane provenant des activités pétrolière­s et gazières pourrait être évitée. Bon nombre de pays producteur­s semblent acquis à l’idée de limiter ces rejets, qui constituen­t par ailleurs un gigantesqu­e gaspillage.

Le méthane est hélas un cas particulie­r. Pour d’autres mesures liées à la transition écologique, il n’y a pas d’alternativ­e à la remise en question de l’agricultur­e intensive.

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland