La colère n’est pas toujours mauvaise conseillère
La colère paysanne fait la une des médias. Elle aura eu le mérite de nous sensibiliser aux difficultés rencontrées par de nombreux agriculteurs et éleveurs, en pointant notamment la disproportion criante entre la charge de travail qu’ils assument et le revenu net qu’ils en tirent.
Certaines revendications sont liées au volet agricole du Pacte vert de l’Union européenne (UE). D’autres remettent sur le tapis des problèmes qui lui sont bien antérieurs. En effet, la dégradation des conditions de vie du monde rural ne date pas d’aujourd’hui. Pour mémoire, La Fin des paysans, un ouvrage marquant d’Henri Mendras, dont le titre résume bien le propos, est paru en 1967. Pendant les Trente Glorieuses, l’augmentation de la production s’est opérée par l’utilisation de machines, fort efficaces mais très coûteuses, et la généralisation des élevages industriels. D’innombrables paysans, surendettés à la suite des investissements consentis, ont jeté l’éponge. D’autres ont repris leurs terres et en ont fait des PME très rentables, grâce notamment aux subventions publiques.
La lente agonie du secteur s’est poursuivie. Les paysans sont confrontés à des problèmes structurels et subissent des injonctions contradictoires. Le marché dans lequel ils évoluent est fondamentalement déséquilibré. Les vendeurs – quelques dizaines de milliers d’exploitations agricoles en Europe – font face à quelques dizaines de géants de la distribution et quelques multinationales de l’agroalimentaire. C’est le pot de terre contre le pot de fer.
Par ailleurs, depuis des décennies, l’UE a multiplié les normes tout en cherchant à conclure des accords de libre-échange avec des pays qui ne respectent pas des normes similaires, ce qui est totalement contradictoire. Enfin, les politiques demandent au secteur agricole d’assurer la souveraineté alimentaire en respectant l’environnement et sans augmenter les prix. A l’évidence, le niveau actuel des subventions ne permet pas à la majorité des agriculteurs et des éleveurs de répondre à cette triple exigence.
Une fois admis le droit des paysans à tirer un revenu décent de leur travail, il faut immédiatement réaffirmer qu’un changement des pratiques agricoles est absolument indispensable.
Prenons l’exemple le plus parlant des émissions de méthane, un redoutable gaz à effet de serre. Sur vingt ans, son pouvoir de réchauffement est 80 fois supérieur à celui du CO2. Sa durée de vie dans l’atmosphère est certes plus courte mais, sur un siècle, son pouvoir de réchauffement reste 28 fois supérieur à celui du CO2. Les scientifiques estiment que le méthane est responsable de 30% du réchauffement de la planète depuis l’ère préindustrielle.
Or, les émissions générées par le bétail, provenant du fumier et des rejets gastrointestinaux, représentent environ le tiers des émissions de méthane d’origine humaine. Certes, il est possible de limiter les émissions de méthane en modifiant l’alimentation du bétail, en compostant le fumier ou en l’utilisant pour produire du biogaz. L’effet de ces différentes mesures reste toutefois limité. La seule solution est donc de limiter notre consommation de viande ou, a minima, de substituer la volaille et la viande porcine à la viande bovine. Cela passe évidemment par un changement de nos habitudes alimentaires, un processus qui est à l’oeuvre mais qui est forcément très lent.
La nécessité de donner du temps au changement paraît donc impérative. Pour les émissions de méthane, il est heureusement possible d’agir plus rapidement sur l’autre grande cause d’émission: l’extraction des énergies fossiles. Selon l’Agence internationale de l’énergie, la quasi-totalité des rejets de méthane provenant des activités pétrolières et gazières pourrait être évitée. Bon nombre de pays producteurs semblent acquis à l’idée de limiter ces rejets, qui constituent par ailleurs un gigantesque gaspillage.
Le méthane est hélas un cas particulier. Pour d’autres mesures liées à la transition écologique, il n’y a pas d’alternative à la remise en question de l’agriculture intensive.
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