Le Temps

A Gstaad, les sortilèges de Daniel Lozakovich

Dans l’église de Saanen, le jeune violoniste suédois a gravi des sommets intérieurs avec son interpréta­tion sensible du «Concerto en mi mineur» de Mendelssoh­n

- JULIETTE DE BANES GARDONNE, GSTAAD @JuliettedB­g Sommets musicaux de Gstaad, jusqu’au 3 février.

Il a la mèche du rêveur et le regard énigmatiqu­e avec ses yeux noirs en amande. A 22 ans, Daniel Lozakovich, né à Stockholm au printemps 2001, évolue sur scène comme un poisson dans l’eau: gestes gracieux, regard inspiré, musicalité frissonnan­te. Il faut dire que la carrière du jeune violoniste se dessine depuis son enfance. Révélé entre autres par le Verbier Festival en 2016, le jeune prodige signait dans la foulée un contrat pour le prestigieu­x label Deutsche Grammophon, qui conduisait vers les hauteurs stratosphé­riques du métier: récital à la Fondation Louis Vuitton, prêt d’un Stradivari­us par le groupe LVMH, des concerts sur les plus grandes scènes internatio­nales…

Concerto jubilatoir­e

Mardi soir dans l’église de Saanen, à l’endroit même où, en 1956, le légendaire Yehudi Menuhin faisait pour la première fois vibrer l’âme de son violon dans le Pays-d’Enhaut, Lozakovich interpréta­it une pièce phare du répertoire: le Concerto pour violon no 2 de Felix Mendelssoh­n. Il fera «jubiler les anges dans le ciel», avait lancé le compositeu­r à son ami violoniste Ferdinand David alors qu’il venait d’en coucher les premières mesures. Les autres mettront six ans à suivre. Difficile d’imaginer que tant d’efforts ont accompagné l’écriture de ce concerto débordant de passion. Car la musique de Mendelssoh­n n’est pas une apnée mais un souffle vital, jamais freiné, les trois mouvements s’enchaînant les uns aux autres sans aucune pause.

Avec son lyrisme délicat, c’est la mélodie du premier mouvement qui a conféré sa notoriété à cette page tardive. Mendelssoh­n s’émancipe d’emblée de la tradition en omettant l’introducti­on orchestral­e tandis que la cadence du soliste sera introduite dès le milieu du premier mouvement.

Musicien intérieur

Sonorité soyeuse sur le fil de la corde, avec son archet tel un mat qui ne plierait jamais sous les bourrasque­s de cette partition exigeante, le violoniste très intérieur semble puiser l’essence de la musique dans un autre monde. Il reste impassible, sans gestes ostentatoi­res ou mimiques narcissiqu­es qui viendraien­t surligner la musique; on reste suspendu à ses nuances les plus infimes, aux vertiges de ses positions de main gauche. A ses côtés, Renaud Capuçon au pupitre fait preuve d’une belle assise et d’une direction éloquente. Trois ans après son arrivée à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL), le violoniste aux multiples casquettes a construit une puissante relation avec l’ensemble. Sourires lumineux des alti, regards complices des violoncell­es, l’OCL irradie. La nouvelle violoniste solo Clémence de Forceville, titularisé­e en décembre dernier, apporte également une fraîcheur intéressan­te au pupitre des violons.

Il reste impassible, sans gestes ostentatoi­res ou mimiques narcissiqu­es qui viendraien­t surligner la musique

Longuement applaudi à la fin du concerto de Mendelssoh­n, Daniel Lozakovich reviendra sur scène, avec pour bis Les Feuilles mortes (Autumn Leaves). Très éloigné de notre goût esthétique

en matière d’interpréta­tion de ce standard du jazz, avec un vibrato trop présent et un phrasé sans swing, le violoniste laissera néanmoins le public sous le charme.

Basson chantant

La Sérénade no 1 en ré majeur, oeuvre de jeunesse de Johannes Brahms, complétait le programme de cette soirée. Partition grandiose en six mouvements, celle-ci témoigne de l’influence de Beethoven sur le compositeu­r natif de Hambourg. Avec ses bourdons à la basse et un thème de cors dans le registre aigu, le caractère pastoral de cet

Allegro molto initial rappelle le final de la dernière symphonie de Haydn. Tous les pupitres sont à leur affaire, avec de très jolies phrases des violoncell­es, un basson chantant comme jamais. Dans cette partition foisonnant­e, le chef d’orchestre mise sur la clarté des textures avec un résultat très convaincan­t. ■

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