A Gstaad, les sortilèges de Daniel Lozakovich
Dans l’église de Saanen, le jeune violoniste suédois a gravi des sommets intérieurs avec son interprétation sensible du «Concerto en mi mineur» de Mendelssohn
Il a la mèche du rêveur et le regard énigmatique avec ses yeux noirs en amande. A 22 ans, Daniel Lozakovich, né à Stockholm au printemps 2001, évolue sur scène comme un poisson dans l’eau: gestes gracieux, regard inspiré, musicalité frissonnante. Il faut dire que la carrière du jeune violoniste se dessine depuis son enfance. Révélé entre autres par le Verbier Festival en 2016, le jeune prodige signait dans la foulée un contrat pour le prestigieux label Deutsche Grammophon, qui conduisait vers les hauteurs stratosphériques du métier: récital à la Fondation Louis Vuitton, prêt d’un Stradivarius par le groupe LVMH, des concerts sur les plus grandes scènes internationales…
Concerto jubilatoire
Mardi soir dans l’église de Saanen, à l’endroit même où, en 1956, le légendaire Yehudi Menuhin faisait pour la première fois vibrer l’âme de son violon dans le Pays-d’Enhaut, Lozakovich interprétait une pièce phare du répertoire: le Concerto pour violon no 2 de Felix Mendelssohn. Il fera «jubiler les anges dans le ciel», avait lancé le compositeur à son ami violoniste Ferdinand David alors qu’il venait d’en coucher les premières mesures. Les autres mettront six ans à suivre. Difficile d’imaginer que tant d’efforts ont accompagné l’écriture de ce concerto débordant de passion. Car la musique de Mendelssohn n’est pas une apnée mais un souffle vital, jamais freiné, les trois mouvements s’enchaînant les uns aux autres sans aucune pause.
Avec son lyrisme délicat, c’est la mélodie du premier mouvement qui a conféré sa notoriété à cette page tardive. Mendelssohn s’émancipe d’emblée de la tradition en omettant l’introduction orchestrale tandis que la cadence du soliste sera introduite dès le milieu du premier mouvement.
Musicien intérieur
Sonorité soyeuse sur le fil de la corde, avec son archet tel un mat qui ne plierait jamais sous les bourrasques de cette partition exigeante, le violoniste très intérieur semble puiser l’essence de la musique dans un autre monde. Il reste impassible, sans gestes ostentatoires ou mimiques narcissiques qui viendraient surligner la musique; on reste suspendu à ses nuances les plus infimes, aux vertiges de ses positions de main gauche. A ses côtés, Renaud Capuçon au pupitre fait preuve d’une belle assise et d’une direction éloquente. Trois ans après son arrivée à la tête de l’Orchestre de chambre de Lausanne (OCL), le violoniste aux multiples casquettes a construit une puissante relation avec l’ensemble. Sourires lumineux des alti, regards complices des violoncelles, l’OCL irradie. La nouvelle violoniste solo Clémence de Forceville, titularisée en décembre dernier, apporte également une fraîcheur intéressante au pupitre des violons.
Il reste impassible, sans gestes ostentatoires ou mimiques narcissiques qui viendraient surligner la musique
Longuement applaudi à la fin du concerto de Mendelssohn, Daniel Lozakovich reviendra sur scène, avec pour bis Les Feuilles mortes (Autumn Leaves). Très éloigné de notre goût esthétique
en matière d’interprétation de ce standard du jazz, avec un vibrato trop présent et un phrasé sans swing, le violoniste laissera néanmoins le public sous le charme.
Basson chantant
La Sérénade no 1 en ré majeur, oeuvre de jeunesse de Johannes Brahms, complétait le programme de cette soirée. Partition grandiose en six mouvements, celle-ci témoigne de l’influence de Beethoven sur le compositeur natif de Hambourg. Avec ses bourdons à la basse et un thème de cors dans le registre aigu, le caractère pastoral de cet
Allegro molto initial rappelle le final de la dernière symphonie de Haydn. Tous les pupitres sont à leur affaire, avec de très jolies phrases des violoncelles, un basson chantant comme jamais. Dans cette partition foisonnante, le chef d’orchestre mise sur la clarté des textures avec un résultat très convaincant. ■