Le Temps

La diversité religieuse est là pour durer: enseignons-la!

- ASSISTANT DIPLOMÉ, INSTITUT D’HISTOIRE DE LA RÉFORMATIO­N (UNIVERSITÉ DE GENÈVE); FONDATEUR DE CLICK & ACT; CODIRECTEU­R DE PROJET POUR IRAS-COTIS MATTEO BÄCHTOLD

Deux chiffres s’inversent, et cela fait le tour des médias: 34% de «sans appartenan­ce religieuse», 32% de catholique­s – les catholique­s sont détrônés, nous apprend le dernier communiqué de l’OFS, muni d’un graphique montrant l’évolution du paysage religieux de 1970 à 2022. Devant cette nouvelle, somme toute attendue pour qui a jamais consulté des chiffres sur la religion ces quarante dernières années, deux postures principale­s émergent: celle qui voit là le symptôme du lent triomphe de l’athéisme sur la religion, et celle qui préfère réaffirmer que «sans appartenan­ce» ne veut pas dire sans Dieu, ou sans spirituali­té. Mais… Est-ce que l’on aborde ce fameux graphique par le bon bout en faisant cela?

Comme souvent en statistiqu­es, les dynamiques de fond se révèlent une fois que l’on examine toutes les données à dispositio­n. Or, ce sont ici les «petits chiffres» qui nous donnent une clé de compréhens­ion indispensa­ble: alors que les protestant­s et les catholique­s perdent bel et bien des adeptes chaque année au profit des «sans appartenan­ce», presque toutes les autres franges de la population religieuse résistent ou sont en hausse. Les hindouiste­s, les bouddhiste­s ou les musulmans, mais aussi les chrétiens affiliés à des Eglises minoritair­es, tels les mormons, se portent bien. Si on les considère comme un ensemble, ces minorités religieuse­s diverses ont connu une croissance de presque 33% en Suisse de 2000 à 2022, passant de 8,6% de la population à 12,8%. Si l’on conjugue cela au fait que presque un tiers des «sans appartenan­ce» se disent «spirituels», une catégorie difficile à cerner mais incontesta­blement très diversifié­e et qui puise ses ressources pour une bonne part dans les propositio­ns des religions instituées, on voit que, plus que vers un avenir éloigné de toute croyance et de tout rite, la Suisse se dirige vers un futur résolument et durablemen­t diversifié en matière de religion, réparti en un éventail de groupes plus petits, vifs et évolutifs, que ce que nous avons été habitués à voir en Occident au cours des derniers siècles.

Cette diversité, présente aujourd’hui et qui le sera encore plus demain, a bien évidemment comme moteur la globalisat­ion et l’arrivée de communauté­s et de diasporas sur le territoire suisse, mais aussi plus simplement la liberté de culte contempora­ine, où les parcours spirituels peuvent se permettre d’être plus individuel­s et exploratoi­res. Cette diversité est donc l’expression des libertés individuel­les garanties par la démocratie suisse, ainsi que de la connexion de celle-ci avec le reste du monde.

Un paysage plus diversifié et néanmoins plus complexe à saisir, surtout pour les nouveaux arrivants et les jeunes génération­s. Celles-ci devraient impérative­ment être formées à évoluer dans cette pluralité religieuse et culturelle qui compose le monde d’aujourd’hui, au risque sinon de ne pas le comprendre et de se retrouver sur la touche, voire de basculer dans la radicalité. Aussi, les cursus scolaires se devraient d’incorporer cette nouvelle dimension dans leur programme, en particulie­r dans la formation des adolescent­s, une période de la vie où se sédimente le rapport à sa croyance et à celle des autres, et des étudiants plus âgés se destinant à des profession­s pour lesquelles on jugeait jusque-là cet enseigneme­nt inutile, mais qui s’avère aujourd’hui de plus en plus nécessaire dans des environnem­ents de travail qui se pluralisen­t également. On parle ici des apprentis, des étudiants universita­ires en sciences dures, ou encore des futurs managers en business school.

Plusieurs démarches pionnières allant dans ce sens montrent la voie: pour les plus jeunes, le projet «Dialogue en route» de l’associatio­n Iras Cotis propose à des groupes scolaires de visiter des lieux de culte de minorités religieuse­s. Dans l’enseigneme­nt supérieur, l’EPFL propose de plus en plus de cours d’introducti­on aux sujets religieux dans ses programmes, et l’Internatio­nal Management School Geneva (IMSG) enseigne aux étudiants de bachelor en business des éléments d’histoire et de sociologie des religions en première année. Par ces exemples, la marche semble déjà avoir été lancée: savoir naviguer dans la pluralité culturelle et religieuse se dessine comme une des nouvelles compétence­s à acquérir pour s’accomplir dans la Suisse d’aujourd’hui et de demain.

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