En Hongrie, un très dévoué «monsieur souveraineté»
Fils d’un idéologue du parti au pouvoir, Tamas Lanczi se voit confier un «office» de protection chargé de traquer les ingérences étrangères. Une mission taillée sur mesure pour ce fidèle serviteur du régime de Viktor Orban
Tamas Lanczi prend son nouveau job très au sérieux. A compter d'aujourd'hui, ce politologue proche du pouvoir supervise un office controversé de Protection de la souveraineté. Sa mission? Préserver la Hongrie des ingérences extérieures susceptibles de menacer le pays. Dans le viseur: les ONG critiques, la presse indépendante et l'opposition, accusées de rouler pour les Etats-Unis, «Bruxelles» et le milliardaire George Soros. Argument principal de la naissance de l'office: le financement américain de la campagne législative de Péter Marki-Zay, challenger anti-Orban terrassé lors du scrutin d'avril 2022.
«Les Hongrois ont le droit de savoir clairement qui sont ceux qui essaient de manipuler leur opinion et comment ils s’y appliquent» TAMAS LANCZI, CHEF DE L’OFFICE HONGROIS DE PROTECTION DE LA SOUVERAINETÉ
Liste des «mercenaires de Soros»
«Il existe deux flux d'idées dans le monde. L'un, écrit par George Soros, prône la société ouverte. Traduction: il faut détruire les Etats-nations. George Soros et ses suiveurs ne s'en cachent pas. Ils sont contre la souveraineté nationale et la considèrent néfaste. Face à eux, il y a ceux qui la jugent bénéfique. J'ai été nommé à la tête de cette instance pour défendre la souveraineté», affirme Tamas Lanczi dans le journal pro-gouvernemental Magyar Nemzet. Selon le quadragénaire, les Hongrois «ont le droit de savoir clairement qui sont ceux qui essaient de manipuler leur opinion et comment ils s'y appliquent».
Fils d'un idéologue du parti Fidesz au pouvoir, Tamas Lanczi gravite dans la galaxie orbanienne depuis deux décennies. Au début des années 2000, le futur diplômé de politologie de l'Université ELTE de Budapest contribua à l'écriture de discours pour le jeune premier ministre Viktor Orban. Lanczi dirigea ensuite le cabinet du leader du groupe parlementaire Fidesz de l'époque, Tibor Navracsics, qu'il suivit au Ministère de la justice après 2010 et le retour d'Orban aux affaires. Début 2012, Lanczi devint analyste politique au think-tank conservateur Szazadveg, dont la fondation était dirigée par son père.
En 2016, les deux communicants favoris d'Orban (Arpad Habony et feu Arthur J. Finkelstein, ancien conseiller de Reagan et Netanyahou) le recrutèrent pour chapeauter le cabinet de conseil londonien Danube Business Consulting, pépinière des campagnes anti-Soros. Puis, en avril 2018, alors directeur du magazine économique Figyelo tout juste «orbanisé», Lanczi publia une liste des «mercenaires de Soros» incluant plusieurs centaines d'activistes, juristes, scientifiques et journalistes. Dernièrement, il présentait une émission politique sur la télévision publique M1, transformée en porte-voix du régime. Partenaire régulier de débat, le politologue Attila Tibor Nagy perçoit en Tamas Lanczi une personnalité «dure» et «déterminée» qui «semble qualifiée pour accomplir les attentes du pouvoir orbaniste». En l'occurrence, «attaquer les forces d'opposition et les ONG critiques du gouvernement contre un salaire de 5 millions de forints» (12 170 francs). «Ces treize dernières années, à l'image des autres politologues et analystes proches du pouvoir, il défendait constamment l'exécutif tout en cassant du sucre sur le dos de l'opposition tournée en dérision», développe l'analyste de l'institut Méltanyossag.
Un instrument d’intimidation
Face aux craintes de flicage généralisé en collaboration avec les services secrets, Lanczi assure que son «office» n'est pas une police mais un organe d'examen sans pouvoir de sanction. L'instance produira des rapports annuels mettant en lumière les éventuels dangers et émettra des recommandations sur des cas particuliers auprès des autorités. Les contrevenants risquent jusqu'à 3 ans de prison. Le spectre de cet inquiétant organe plane sur les élections européennes et municipales du 9 juin prochain. Sa feuille de route laisse craindre une aggravation du muselage des voix critiques et de l'autocensure.
La «défense de la souveraineté» nourrissait une récente «consultation nationale» anti-UE, lancée un an après un questionnaire hostile aux sanctions contre Moscou. La «loi souveraineté» votée mi-décembre et le mandat confié à Tamas Lanczi rappellent d'ailleurs la législation russe de 2012 sur les «agents de l'étranger». Le 18 janvier, une résolution du Parlement européen épinglait le dispositif «souveraineté» comme une nouvelle casse de l'Etat de droit en Hongrie. Droit dans ses bottes, Tamas Lanczi tacle une «chasse aux sorcières» et clame se préparer à d'imminentes offensives continentales.
«Vu le parcours de Lanczi, Viktor Orban n'aurait pas pu trouver une personne plus parfaite pour cette mission. L'homme placé aux commandes de l'office de Protection de la souveraineté, soi-disant chargé d'examiner les influences étrangères, propage depuis des années la narration sur le réseau Soros et les (pseudo) ONG qui voudraient renverser le pouvoir», dénonce le journaliste Andras Mizsur du site Telex. Avec cet instrument d'intimidation politique à peine voilée, le gouvernement de Viktor Orban place une énième épée de Damoclès au-dessus d'une société civile sinistrée et d'une opposition agonisante.■