La crise agricole se débloque à Paris mais se tend sur le front européen
Le premier ministre français, Gabriel Attal, a annoncé de nouvelles mesures et un accord s’est dessiné hier alors qu’un millier de tracteurs fondaient sur le siège des institutions bruxelloises
Alors que des questions d’approvisionnement et de chaînes logistiques commençaient à se poser en France au bout de deux semaines de blocages, le gouvernement semble avoir identifié une porte de sortie pour la grogne des agriculteurs.
Tout au long de la semaine, pendant que les paysans français bloquaient de plus en plus spectaculairement les accès menant à Paris, Gabriel Attal recevait à plusieurs reprises les représentants syndicaux à l’Hôtel de Matignon. Et hier à la mi-journée, toujours depuis la résidence officielle des premiers ministres français, il a annoncé une nouvelle série de mesures à l’occasion d’une conférence de presse avec Bruno Le Maire, ministre de l’Economie, Marc Fesneau, ministre de l’Agriculture, et Christophe Béchu, ministre de la Transition écologique.
Davantage de revenus
Le tout nouveau premier ministre français promet «un rapport annuel sur la souveraineté alimentaire» dans le cadre de l’inscription de cet objectif dans la loi. Il veut également protéger les agriculteurs contre les recours au travers de plusieurs décrets. Le gouvernement promet aussi de relever les seuils d’exonération sur les successions agricoles.
Mais c’est en promettant davantage de revenus aux agriculteurs que le chef du gouvernement français a marqué les esprits. Il a annoncé 150 millions d’euros de soutien fiscal et social par an pour les éleveurs ainsi que des travaux sur le dossier des retraites agricoles. Le gouvernement promet également de renforcer les lois qui régissent les négociations avec les industriels et la grande distribution. Bruno Le Maire a ainsi annoncé qu’une «phase de contrôle massif de tous les contrats négociés» serait réalisée par 150 agents de la répression des fraudes, des contrôles multipliés par deux, particulièrement sur les centrales d’achat européennes qui se fournissent à l’étranger. Par ailleurs, «10000 contrôles sur l’origine française des produits» seront réalisés.
Contre la concurrence déloyale, le gouvernement annonce aussi une «clause de sauvegarde» pour empêcher l’importation en France de fruits et légumes traités avec le pesticide thiaclopride, une «mesure miroir» qui servira d’exemple pour la suite, promet Gabriel Attal.
Par contre, le plan français sur la réduction des pesticides est «mis à l’arrêt», ce qui devrait braquer les écologistes. D’autres «simplifications» sont aussi promises pour faciliter la vie des agriculteurs dans ce domaine. «La souveraineté, c’est bon pour l’écologie», a tenu à expliquer le ministre de la Transition écologique en fin de conférence de presse.
La réaction de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) était très attendue. «Nous avons été entendus avec des avancées tangibles» même s’«il y a aussi des choses qu’il faudra éclairer», a réagi le patron de la FNSEA, Arnaud Rousseau. «Le gouvernement s’est engagé sur un calendrier», a-t-il assuré après avoir partagé un sentiment «diamétralement opposé» entre «une écoute de la part du premier ministre» et «la surdité de l’Europe».
La mobilisation passerait désormais à une phase de suivi des annonces auprès des administrations. «Le mouvement ne cesse pas, il se transforme», a expliqué Arnaud Rousseau. «Nous attendons des actes et pas que des mots, il faut transformer l’essai. […] Nous n’allons pas régler en quelques jours vingt ans de désarmement de l’agriculture.» Il déclare vouloir «donner crédit à la parole du premier ministre» et affirme que, désormais, il «y a besoin de rentrer chez soi», dans les fermes. Au bout du compte, les mesures d’urgence sont évaluées par le Ministère de l’économie à un total de 400 millions d’euros. Le Salon de l’agriculture, qui doit avoir lieu à Paris le 24 février, a été posé comme date butoir pour faire un bilan, à la fois par le gouvernement et par les agriculteurs.
Débordements
Les annonces gouvernementales françaises d’hier suivaient des réformes annoncées et des aides dégagées vendredi dernier par le premier ministre. La Commission européenne avait aussi cédé en partie mercredi sur les jachères obligatoires et sur l’impact des importations de denrées ukrainiennes.
Par ailleurs, pendant que Gabriel Attal parlait à Paris, du côté de Bruxelles, en marge d’un sommet sur l’aide à l’Ukraine, Emmanuel Macron rencontrait la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, afin qu’ils accordent leurs violons sur l’accord commercial avec les géants latino-américains du Mercosur. Les agriculteurs se sentent menacés par la perspective de ce libre-échange qui plaît cependant beaucoup aux industriels, particulièrement du côté de l’Allemagne.
Comme un symbole, ce même jour, à quelques mètres de ces négociations européennes, un millier de tracteurs, principalement belges mais également en provenance d’autres pays en crise, ont fondu sur le siège des institutions européennes. De nombreux débordements, feux de pneus, dégradations et jets de projectiles ont été dispersés par les canons à eau policiers.
■