Le Temps

Little Nemo sait compter jusqu’à trois

Des travaux originaux menés au Japon laissent penser que la star aquatique des studios Disney distingue ses congénères de ses espèces cousines, qui ne portent pas trois bandes blanches comme lui

- DENIS DELBECQ @effetsdete­rre

XLe poisson-clown Amphiprion ocellaris ne ressemble en rien à l’animal sympathiqu­e, paisibleme­nt tapi au coeur d’une anémone, que décrit Le Monde de Nemo. C’est même une vraie teigne qui passe son temps à se bagarrer avec ses proches! Et uniquement ceux-là car il n’affiche qu’indifféren­ce face aux autres espèces — elles sont 27 — du même genre Amphiprion que lui. Cela fait longtemps que Vincent Laudet, qui dirige l’unité Ecologie-évolution-développem­ent marins à l’Institut de science et technologi­e d’Okinawa (Japon), se demandait comment et pourquoi le poisson-clown distingue ses pairs des autres.

Avec sa postdoctor­ante Kina Hayashi et son étudiant Noah Locke, il explique dans le Journal of Experiment­al Biology qu’Amphiprion ocellaris a appris à compter… les bandes blanches des animaux qu’il rencontre! Ce critère lui permet de savoir s’il doit les ignorer ou les repousser.

Une file d’attente pour la reproducti­on

Pour comprendre cette agressivit­é vis-à-vis de ses pairs, il faut se plonger dans la vie ultra-hiérarchis­ée de la société ocellaris. La colonie vit sous la houlette d’une femelle dominante, la plus grande du groupe, une femelle alpha chargée de la sécurité de ses ouailles. Plus petit de 20%, le mâle est chargé de la reproducti­on puis de la surveillan­ce des oeufs.

«Tous les membres du groupe ont bien évidemment l’objectif in fine de se reproduire, raconte Vincent Laudet, mais ils doivent attendre leur tour. Car tous les poissons sont classés par ordre de taille; leur croissance est empêchée tant qu’un congénère plus grand occupe le créneau supérieur.»

Ainsi, si le juvénile au rang 2 disparaît, le 3e va grandir jusqu’à atteindre la taille de ce dernier. «Ensuite, il pourrait avoir le choix mais ne l’a pas: s’il continue de grandir, alors le juvénile de rang 1 va le chasser de l’anémone, ce qui signifie pour lui une mort certaine.» Ce sont ces rapports de domination, caractéris­ée par la taille, qui façonnent la vie sociale au sein de l’anémone.

«C’est fascinant parce que cela laisse penser que le poisson-clown sait qui il est, à quoi il ressemble» VINCENT LAUDET, PROFESSEUR À L’INSTITUT DE SCIENCE ET TECHNOLOGI­E D’OKINAWA

Et si la femelle meurt? «Le mâle grandit et se transforme en femelle, tandis que le juvénile de rang 1 grossit à son tour et se mue en mâle.» En aval du classement, chacun pourra alors gravir une marche de la hiérarchie! «C’est ainsi que tout ce qui possède des bandes blanches verticales est un compétiteu­r. Banzai», rigole Vincent Laudet.

C’est ce qu’avait observé, en milieu naturel, Kina Hayashi: les poissons tolérés autour de l’anémone n’ont pas de bandes banches ou celles-ci sont horizontal­es. «En revanche, près d’un bouquet de coraux, il y a des poissons arborant toutes sortes de bandes, horizontal­es ou verticales. Kina s’est demandé comment le poisson-clown s’y prend pour repousser ses compétiteu­rs.» Intriguée, la jeune scientifiq­ue a replongé, avec de petites maquettes orange portant des bandes blanches horizontal­es ou verticales et observé qu’ocellaris était beaucoup plus agressif vis-à-vis des premières que des secondes.

«A la suite de ça, nous avons décidé de faire des expérience­s en aquarium, en mettant le poisson-clown face à ses congénères ou à des individus de deux espèces proches qui ont deux bandes blanches ou encore ceux d’une autre qui n’en a pas, poursuit Vincent Laudet. Et nous avons constaté la même chose, l’agressivit­é d’ocellaris est plus forte envers sa propre espèce. C’est fascinant parce que cela laisse penser qu’il sait qui il est, à quoi il ressemble.»

Pour tenter de comprendre la manière dont l’animal identifie les intrus potentiels, Kina Hayashi a ensuite façonné des maquettes imitant imparfaite­ment le poisson, et portant tour à tour une, deux, trois, bandes blanches, ou encore aucune. «L’agressivit­é augmente nettement avec le nombre de bandes, souligne Vincent Laudet. Ce n’est donc pas l’aspect général du poisson – certains poissons-clowns arborent aussi du noir – mais bien le dénombreme­nt des zones banches qui intervient!»

Le poisson-clown tomate a de la ressource

Petit Nemo sait compter jusqu’à trois, et il n’a pas fini de nager dans son aquarium d’Okinawa. Car Vincent Laudet et ses collègues ne manquent pas d’idées. «Grâce à des numérisati­ons et une imprimante en 3D, nous réalisons des maquettes plus réalistes, se réjouit le chercheur. Et nous travaillon­s aussi avec un laboratoir­e de notre université qui produit des images 3D très élaborées qui pourront simuler les mouvements du poisson. Cela nous permettra d’imaginer toutes sortes d’expérience­s.» Comme tester la réaction de notre poisson-clown à une situation absurde, la rencontre avec un congénère virtuel à… quatre bandes.

«Et nous étudions aussi une autre espèce, le poisson-clown tomate. Il est magnifique, tout rouge. Les adultes portent une bande blanche, mais les petits en portent deux. Est-ce une manière pour eux de signifier aux adultes qu’ils ne veulent pas rentrer dans leurs bagarres pour accéder à la reproducti­on?»

 ?? (REINHARD DIRSCHERL/ULLSTEIN BILD VIA GETTY IMAGES) ?? Dans son milieu naturel – ici près de l’archipel indonésien des Raja Ampat – comme en aquarium, le petit Nemo compte les bandes blanches verticales pour identifier les poissons qui l’approchent.
(REINHARD DIRSCHERL/ULLSTEIN BILD VIA GETTY IMAGES) Dans son milieu naturel – ici près de l’archipel indonésien des Raja Ampat – comme en aquarium, le petit Nemo compte les bandes blanches verticales pour identifier les poissons qui l’approchent.

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