Pascal Vandenberghe, l’adieu à Payot
Le remuant patron de la chaîne de librairies, qui a bataillé pour le prix unique puis attaqué le groupe de Gallimard, annonce son retrait pour fin février
En octobre dernier, il éructait encore pour Le Temps face au qualificatif de «position dominante» qu’Antoine Gallimard, patron de Madrigall (Gallimard, Minuit, etc.), accolait aux librairies Payot. Figure culturelle romande, les cheveux d’argent bataillant contre toutes les censures et tous les diktats, Pascal Vandenberghe a annoncé au conseil d’administration de Payot qu’il prenait sa retraite à fin février. Maud Poncé-Hubier et Bénédicte Kuchcinski reprennent la direction.
Quand Pascal Vandenberghe est devenu directeur de Payot, en 2004, la maison appartenait encore au groupe Lagardère. Il a acheté l’enseigne en 2014, et avant cela, a acquis la franchise Nature & Découvertes pour la Suisse, un joli coup commercial. Le président du conseil d’administration de Payot, Yves Cuendet, veut souligner que durant ces vingt années, «grâce à lui, Payot est restée une société suisse indépendante et forte dans un marché complexe». En effet, si l’on compare à des régions françaises ou belges, le maillage de Payot, et ses 14 enseignes sur le flocon de territoire romand, reste une richesse.
Payot, bulldozer puis figure de résistance
Mais Pascal Vandenberghe a fait davantage que piloter son affaire. De l’horrible bulldozer écrasant les petites librairies indépendantes, Payot est devenue l’emblème d’une forme de résistance aux géants français, même si elle en est également victime, s’agissant des fameuses tables de conversion qui font bondir les prix des livres en Suisse par rapport à la France. L’une des premières grandes batailles, pour le patron, a été le vote national sur le prix du livre, en 2012. Une grande mobilisation de la branche, saisie par l’espoir d’une régulation pour ce produit jugé si particulier. Las, le projet a été refusé par 56% des voix.
Se sont ensuivies des années de tensions plus ou moins sourdes. Pascal Vandenberghe menace durant longtemps de lancer des importations parallèles afin de court-circuiter les diffuseurs, rois des tabelles de conversion. Une méthode appliquée par la Fnac. Mais il ne peut y parvenir. En revanche, quand l’idée du prix réglementé revient, à mi-2021, il s’en distancie. Le marché a changé, fait-il valoir.
En 2022, l’attaque frontale contre Madrigall
Le coup de tonnerre suivant survient en septembre 2022 quand Payot porte plainte contre Madrigall. Ce groupe n’est pas le seul visé, mais à la faveur d’une modification de la loi sur les cartels, Pascal Vandenberghe veut enfin ouvrir la brèche qu’il espère pour son secteur. Il y a juste un an, la Commission de la concurrence a accepté d’ouvrir une enquête.
Pascal Vandenberghe se retire ainsi en ayant gagné une bataille, mais pas la guerre. Il reviendra à ses successeurs de reprendre la procédure, forcément complexe. Au bout du compte, sur ce point-là, les emportements du patron laissent un goût d’inachevé, puisque la différence de prix chez Payot par rapport au tarif hexagonal est toujours exorbitante.
Néanmoins, malgré ce complet déséquilibre économique dans une région où la frontière n’est jamais loin, avec ses 400 collaborateurs, il a réussi à faire tenir son réseau de librairies, ce qui relève déjà du miracle. Il n’a pas voulu s’exprimer hier soir mais écrit vouloir se «consacrer à d’autres projets – toujours autour du livre». Evidemment. Un Pascal Vandenberghe, ça ne somnole pas à la pêche la chevelure enfermée dans un chapeau de brousse.
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