«On n’a pas forcé UBS à acheter Credit Suisse»
Invitée du Forum Horizon organisé hier par «Le Temps», la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, est revenue sur les tensions et les craintes qui ont agité les jours précédant la chute du numéro deux, le 19 mars 2023
Comment se sent-on au moment de prendre la décision, historique, qu’UBS doit racheter Credit Suisse? Reconnaissant avoir été «alarmée» par la situation de l’ex-deuxième banque du pays avant le 19 mars 2023, Karin Keller-Sutter a démenti l’idée d’un mariage forcé par les autorités, lors du Forum Horizon organisé ce jeudi par Le Temps à l’IMD de Lausanne, en partenariat avec Cité Gestion.
«Les médias anglo-saxons ont parlé de «shotgun wedding» [littéralement un mariage organisé avec un pistolet sur la tempe, ndlr], mais ça n’a pas été le cas», a répondu la ministre des Finances. Le processus de sauvetage a en réalité été déclenché lorsque Credit Suisse a fait une demande de liquidités à la Banque nationale suisse (BNS), le 15 mars, selon la politicienne que le Financial Times a classée parmi les 25 femmes les plus influentes de la planète en fin d’année dernière. «La banque était consciente du fait qu’elle ne maîtrisait plus vraiment la situation.»
«Nous étions alarmés, poursuit «KKS». Avec la BNS et la Finma [l’autorité fédérale de surveillance des marchés financiers, ndlr], nous avons immédiatement parlé avec les dirigeants d’UBS et de Credit Suisse mais nous n’avons pas dit à UBS de racheter Credit Suisse et de sauver la place financière.» Ce qui a été discuté, en revanche, c’était de savoir si le rachat de Credit Suisse était une option. «Si ça n’avait pas été le cas, il aurait fallu appliquer les règles du too big to fail [la législation prévue en cas de faillite d’une banque d’importance systémique, ndlr], il y aurait eu un assainissement ou une liquidation», a précisé la ministre libérale-radicale, soulignant que les dirigeants d’UBS connaissaient les difficultés de leur concurrent depuis des années.
La décision d’acquérir Credit Suisse a été prise par le conseil d’administration d’UBS, tandis que celui de Credit Suisse a décidé de vendre, a finalement résumé Karin Keller-Sutter, rappelant le contexte explosif du moment. «Le système financier global était déjà fragilisé par la faillite de plusieurs banques régionales américaines et Credit Suisse était le prochain maillon faible; si une faillite de Credit Suisse n’était pas évitée, on craignait une contamination à UBS et le déclenchement d’une crise internationale.»
La Suisse a-t-elle respecté les règles?
Ces éventualités ont été évitées – l’action UBS a progressé de près de 50% depuis le weekend du 19 mars –, mais le sauvetage de Credit Suisse continue à occuper les tribunaux. Quelque 3000 détenteurs d’obligations AT1 de la banque ont lancé des procédures, en Suisse et aux Etats-Unis notamment, pour contester l’annulation de ces titres de dette convertible, décidée le 19 mars.
Et pour obtenir un dédommagement, à la suite d’une perte se mesurant en milliards. Précisant que l’annulation de ces «CoCos» a été décidée par la Finma, et non par le Conseil fédéral, Karin Keller-Sutter a rappelé que ces instruments financiers, qui rapportaient 7 à 10% d’intérêt par an, étaient risqués et qu’ils pouvaient être annulés en cas de problème.
Et si les plaignants l’emportent devant les tribunaux, notamment au Tribunal administratif fédéral, qui les dédommagerait? L’hypothèse est rapidement écartée: «On part du principe que la Finma a agi de manière correcte et proportionnée», répond la conseillère fédérale. Cette affaire a donné lieu à des critiques: la
Suisse aurait tordu les règles pour sauver Credit Suisse, alors que le pays se vante de la stabilité de son cadre juridique.
Non à une 13e rente AVS
Ces affirmations ont essentiellement été relayées par des médias anglophones, issus de pays concurrents de la place financière suisse, relève encore Karin Keller-Sutter. «Je vois au contraire que les ministres des Finances étrangers ont salué l’action de la Suisse dans ce dossier; c’est la preuve qu’une solution a été trouvée pour assurer la stabilité du système financier. Ce résultat est essentiel», selon elle.
Questionnée sur l’actualité, la ministre a réitéré son opposition à une 13e rente AVS, objet de votation populaire le 3 mars prochain. Si cette rente supplémentaire entrait en vigueur, elle «déstabiliserait les finances de l’AVS et ajouterait chaque année 800 millions à 1 milliard de francs à la charge de la Confédération», alors qu’un déficit de 2,5 milliards est attendu pour 2025. Autre argument, plutôt que de distribuer une 13e rente à tous les retraités, Karin Keller-Sutter préfère des mesures sociales ciblées, notamment en faveur des familles monoparentales, dans le cadre d’un «Etat social fort, donc financé, pas déstabilisé».
La Confédération accepte donc de débloquer des milliards pour sauver des banques, mais pas pour soutenir les individus modestes, pour reprendre des critiques de la gauche de l’échiquier politique? L’argument est simplifié à l’extrême, réplique «KKS» car les 109 milliards que Berne a apportés en garantie à la Banque nationale dans le cadre du sauvetage de Credit Suisse n’ont pas été utilisés, et ont même rapporté quelque 200 millions aux caisses fédérales.
«Si une faillite de Credit Suisse n’était pas évitée, on craignait une contamination à UBS» KARIN KELLER-SUTTER, CONSEILLÈRE FÉDÉRALE CHARGÉE DES FINANCES
Pas d’exception pour la transition écologique
Ne serait-il pas avisé de ménager des exceptions au frein à l’endettement en cas de nécessité absolue, par exemple pour financer la transition écologique? «Cette disposition prévoit déjà des exceptions, pour des dépenses imprévues comme celles apparues à cause du covid ou de la guerre en Ukraine», conclut Karin Keller-Sutter, insistant sur le coeur de ce dispositif: l’équilibre des finances fédérales à moyen terme. «La Suisse se porte mieux [que les pays voisins, ndlr] car elle n’est pas endettée».
Dernière question liée à une actualité très récente: le milliard de francs qu’il manquerait dans les caisses de l’armée pour pouvoir assurer ses dépenses, selon des révélation de SRF mercredi soir. Un problème que «KKS» dit avoir découvert dans les médias et sur lequel elle ne se prononcera donc pas directement.
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