Vers une nouvelle stratégie américaine?
Washington s’est doté d’un nouvel instrument pour sanctionner des colons israéliens accusés de commettre des violences en Cisjordanie. Les Etats-Unis étudient aussi une reconnaissance d’un Etat palestinien
L’exaspération de l’administration Biden à l’égard du gouvernement israélien se traduit pour la première fois en actes. Washington a adopté jeudi des sanctions contre des colons israéliens accusés de violence contre la population palestinienne en Cisjordanie. Selon l’ONU, le nombre des attaques a explosé depuis le massacre du Hamas du 7 octobre perpétré depuis Gaza, faisant craindre une contagion du conflit à l’autre territoire palestinien. Selon des fuites orchestrées dans les médias, les Etats-Unis étudieraient aussi la reconnaissance d’un Etat palestinien, une éventualité à laquelle s’oppose obstinément le gouvernement de Benyamin Netanyahou. L’administration démocrate, en porte-àfaux avec une partie de son électorat sur le soutien indéfectible à Israël, cherche à rééquilibrer son approche du conflit.
C’est la première fois que les Etats-Unis imposent des sanctions à l’égard de ressortissants de leur allié israélien. Même si seuls quatre colons sont visés et qu’ils n’ont pas forcément d’avoirs aux Etats-Unis, le coup de semonce a résonné dans le bureau du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Lequel a dénoncé des «mesures exceptionnelles» qui n’avaient «pas leur place», puisque la grande majorité des colons «respectent la loi» et ceux qui l’enfreignent sont «traduits en justice». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, vivant lui-même dans les territoires occupés, a jugé que les violences commises par les colons étaient un «mensonge antisémite» destiné à «discréditer le mouvement des colons et l’Etat d’Israël».
L’ordre exécutif signé par Joe Biden est extensible. «Pour l’instant, il n’y a pas de plan pour sanctionner des membres du gouvernement», a toutefois précisé jeudi John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité national. «Les Etats-Unis se sont donné un nouvel instrument de pression sur Israël et il était temps qu’ils agissent contre la violence des colons en Cisjordanie», salue Michael Hanna, chercheur pour l’International Crisis Group. Mais il regrette que cette pression ne s’exerce pas pour mettre fin à la guerre à Gaza. «En plus du terrible bilan humain et de la catastrophe humanitaire, c’est un désastre politique pour Joe Biden dans la perspective de sa réélection en novembre», estime Michael Hanna.
«Colère contre la Maison-Blanche»
Les électorats jeune et arabe menacent de ne pas voter pour le démocrate. Le président était justement en déplacement jeudi dans le Michigan, un Etat clé où habite une forte communauté arabe. Mais il n’a rencontré aucun représentant de la communauté arabe et les tentatives de l’administration de renouer le dialogue se sont soldées par des échecs, selon la presse américaine. «La colère contre la Maison-Blanche tient à la poursuite de la guerre à Gaza et au soutien sans faille à l’armée israélienne», pointe Michael Hanna.
Sur ce point, la politique américaine n’a pas changé. Les EtatsUnis continuent de pousser pour une trêve, afin de permettre la libération des otages capturés par le Hamas le 7 octobre, dont des ressortissants américains, en échange de prisonniers palestiniens. Israël et le Hamas ont donné leur accord de principe. Mais des modalités cruciales, comme la durée de la trêve ou l’identité des personnes libérées, sont encore en négociation. «Même si elle ne le dit pas publiquement pour ne pas braquer son allié israélien, la Maison-Blanche souhaite un cessez-le-feu permanent, juge Michael Hanna. Mais, pour l’instant, les pressions sur le gouvernement israélien s’exercent derrière des portes closes.»
En attendant les frappes américaines
Autre constante à Washington, éviter à tout prix une guerre plus large au Moyen-Orient. Les EtatsUnis ont fort à faire. Leurs navires ripostent aux attaques depuis le Yémen des houthis contre le trafic maritime en mer Rouge. Ces miliciens soutenus par l’Iran affirment agir en solidarité avec les Palestiniens à Gaza. Enfin, Joe Biden dit avoir décidé de représailles militaires contre les milices pro-iraniennes accusées d’avoir tué le week-end dernier trois soldats américains sur une base américaine en Jordanie. Le président a honoré leur mémoire vendredi sur la base militaire de Dover dans le Delaware.
Près d’une semaine après cette attaque, la riposte n’a pas encore été déclenchée. L’administration Biden dit ne pas vouloir de guerre avec l’Iran, qui tire les ficelles contre le «grand» et «le petit Satan» (les Etats-Unis et Israël) dans la région. Si le président parvient à rester sur cette ligne de crête au-dessus de l’abîme, l’éditorialiste du New York Times Thomas Friedman entrevoit les prémices d’un grand règlement politique au Moyen-Orient. Une normalisation entre les pays arabes sunnites et Israël en échange de la création d’un Etat palestinien, qui priverait I’Iran de la carte palestinienne. Un horizon lointain. ■