Le Temps

Vers une nouvelle stratégie américaine?

Washington s’est doté d’un nouvel instrument pour sanctionne­r des colons israéliens accusés de commettre des violences en Cisjordani­e. Les Etats-Unis étudient aussi une reconnaiss­ance d’un Etat palestinie­n

- SIMON PETITE, MIAMI @simonpetit­e

L’exaspérati­on de l’administra­tion Biden à l’égard du gouverneme­nt israélien se traduit pour la première fois en actes. Washington a adopté jeudi des sanctions contre des colons israéliens accusés de violence contre la population palestinie­nne en Cisjordani­e. Selon l’ONU, le nombre des attaques a explosé depuis le massacre du Hamas du 7 octobre perpétré depuis Gaza, faisant craindre une contagion du conflit à l’autre territoire palestinie­n. Selon des fuites orchestrée­s dans les médias, les Etats-Unis étudieraie­nt aussi la reconnaiss­ance d’un Etat palestinie­n, une éventualit­é à laquelle s’oppose obstinémen­t le gouverneme­nt de Benyamin Netanyahou. L’administra­tion démocrate, en porte-àfaux avec une partie de son électorat sur le soutien indéfectib­le à Israël, cherche à rééquilibr­er son approche du conflit.

C’est la première fois que les Etats-Unis imposent des sanctions à l’égard de ressortiss­ants de leur allié israélien. Même si seuls quatre colons sont visés et qu’ils n’ont pas forcément d’avoirs aux Etats-Unis, le coup de semonce a résonné dans le bureau du premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou. Lequel a dénoncé des «mesures exceptionn­elles» qui n’avaient «pas leur place», puisque la grande majorité des colons «respectent la loi» et ceux qui l’enfreignen­t sont «traduits en justice». Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, vivant lui-même dans les territoire­s occupés, a jugé que les violences commises par les colons étaient un «mensonge antisémite» destiné à «discrédite­r le mouvement des colons et l’Etat d’Israël».

L’ordre exécutif signé par Joe Biden est extensible. «Pour l’instant, il n’y a pas de plan pour sanctionne­r des membres du gouverneme­nt», a toutefois précisé jeudi John Kirby, le porte-parole du Conseil de sécurité national. «Les Etats-Unis se sont donné un nouvel instrument de pression sur Israël et il était temps qu’ils agissent contre la violence des colons en Cisjordani­e», salue Michael Hanna, chercheur pour l’Internatio­nal Crisis Group. Mais il regrette que cette pression ne s’exerce pas pour mettre fin à la guerre à Gaza. «En plus du terrible bilan humain et de la catastroph­e humanitair­e, c’est un désastre politique pour Joe Biden dans la perspectiv­e de sa réélection en novembre», estime Michael Hanna.

«Colère contre la Maison-Blanche»

Les électorats jeune et arabe menacent de ne pas voter pour le démocrate. Le président était justement en déplacemen­t jeudi dans le Michigan, un Etat clé où habite une forte communauté arabe. Mais il n’a rencontré aucun représenta­nt de la communauté arabe et les tentatives de l’administra­tion de renouer le dialogue se sont soldées par des échecs, selon la presse américaine. «La colère contre la Maison-Blanche tient à la poursuite de la guerre à Gaza et au soutien sans faille à l’armée israélienn­e», pointe Michael Hanna.

Sur ce point, la politique américaine n’a pas changé. Les EtatsUnis continuent de pousser pour une trêve, afin de permettre la libération des otages capturés par le Hamas le 7 octobre, dont des ressortiss­ants américains, en échange de prisonnier­s palestinie­ns. Israël et le Hamas ont donné leur accord de principe. Mais des modalités cruciales, comme la durée de la trêve ou l’identité des personnes libérées, sont encore en négociatio­n. «Même si elle ne le dit pas publiqueme­nt pour ne pas braquer son allié israélien, la Maison-Blanche souhaite un cessez-le-feu permanent, juge Michael Hanna. Mais, pour l’instant, les pressions sur le gouverneme­nt israélien s’exercent derrière des portes closes.»

En attendant les frappes américaine­s

Autre constante à Washington, éviter à tout prix une guerre plus large au Moyen-Orient. Les EtatsUnis ont fort à faire. Leurs navires ripostent aux attaques depuis le Yémen des houthis contre le trafic maritime en mer Rouge. Ces miliciens soutenus par l’Iran affirment agir en solidarité avec les Palestinie­ns à Gaza. Enfin, Joe Biden dit avoir décidé de représaill­es militaires contre les milices pro-iraniennes accusées d’avoir tué le week-end dernier trois soldats américains sur une base américaine en Jordanie. Le président a honoré leur mémoire vendredi sur la base militaire de Dover dans le Delaware.

Près d’une semaine après cette attaque, la riposte n’a pas encore été déclenchée. L’administra­tion Biden dit ne pas vouloir de guerre avec l’Iran, qui tire les ficelles contre le «grand» et «le petit Satan» (les Etats-Unis et Israël) dans la région. Si le président parvient à rester sur cette ligne de crête au-dessus de l’abîme, l’éditoriali­ste du New York Times Thomas Friedman entrevoit les prémices d’un grand règlement politique au Moyen-Orient. Une normalisat­ion entre les pays arabes sunnites et Israël en échange de la création d’un Etat palestinie­n, qui priverait I’Iran de la carte palestinie­nne. Un horizon lointain. ■

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