L’armée menacée d’économiser
La Berne fédérale n’a pas fini d’écarquiller les yeux après l’annonce des dépassements budgétaires de la Défense. Jusqu’ici épargnés par l’austérité financière générale, les militaires pourraient se voir, eux aussi, touchés par des coupes
«Cela fait douze ans que je siège en Commission de politique de sécurité et je ne comprends pas ce qui arrive aux finances de l'armée. D'habitude, le Département fédéral de la défense dépensait moins que son budget, et présentait ses comptes clairement. Aujourd'hui, c'est le contraire.» Pierre-Alain Fridez se dit très surpris. Conseiller national socialiste, il ne partage de loin pas la ligne de l'armée. Mais il reconnaît que dans le passé, la gestion financière générale se portait mieux. «Tout cela suscite beaucoup d'interrogations», résume le Jurassien, lors d'un point de presse tenu ce vendredi par le PS pour mettre la pression sur la Défense et poser des revendications.
Les problèmes de liquidités de l'armée animent la semaine, et ont été abordés ce vendredi lors les entretiens de Watteville entre le Conseil fédéral et les dirigeants de partis politiques. Hier jeudi, le chef des troupes Thomas Süssli a dû s'expliquer publiquement et communiquer que des investissements d'un montant de 1,4 milliard de francs devront être reportés. La nouvelle a fait du bruit et a engendré de l'incompréhension. Contrairement aux autres domaines, l'institution militaire est en effet épargnée par les mesures d'économies, puisqu'une majorité politique veut la renforcer rapidement en réaction au contexte sécuritaire et à la guerre en Ukraine. Une hausse budgétaire conséquente lui a été allouée.
Effort financier demandé
Pour les autres postes de dépense, la situation est moins évidente. Le Conseil fédéral et sa ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, ont demandé un effort financier. Une tendance qui devrait se poursuivre ces prochains moins. Au point que, selon nos informations, même l'armée pourrait être appelée à diminuer ses dépenses.
Il s'agirait d'un tournant et ne manquerait pas de piquant. La ministre de la Défense, Viola Amherd, se retrouverait sous pression, elle qui a froissé certains collègues en ne les informant pas de la situation pécuniaire de son département. Nous n'en sommes néanmoins pas encore là. Pour l'instant, la Berne fédérale tente de comprendre les raisons des soucis de liquidités. Selon les informations
«Le Contrôle fédéral des finances doit mener une enquête» SAMUEL BENDAHAN, CONSEILLER NATIONAL (PS/VD)
délivrées jusqu'ici, l'institution militaire a commandé trop de matériel depuis 2020, dépassant les moyens à disposition. A la suite de l'éclatement de la guerre en Ukraine, et du réarmement entamé dans les pays occidentaux, elle a également misé sur une forte croissance de son budget jusqu'en 2030. Après de premiers signaux positifs mais non définitifs, le Conseil fédéral et le parlement ont décidé de ralentir cette hausse et de l'étendre jusqu'en 2035, pour assurer l'équilibre des finances de la Confédération. Las, le Département de la défense (DDPS) n'avait pas jugé nécessaire d'attendre et avait déjà pris des engagements.
«Attention, les montants inscrits dans le crédit-cadre pluriannuel ne doivent pas être considérés comme automatiquement accordés. Ce qui fait foi au final, c'est bien le budget annuel», rappelle Jacques Bourgeois, qui était conseiller national libéral-radical (FR) jusqu'en automne passé, et ancien président de la Commission des finances. Comme déjà dit, l'armée avait passé commande de matériel avant l'adoption du budget par le parlement.
«Pas de coupes dans d’autres prestations publiques»
Traditionnellement critique visà-vis de l'armée, le Parti socialiste bat le fer pendant qu'il est chaud. Lors du point de presse du jour, ses quatre représentants ont réclamé diverses mesures. «Le Contrôle fédéral des finances doit mener une enquête», commente Samuel Bendahan (VD), co-chef du groupe du PS au parlement, appuyé par le conseiller national Fabian Molina (ZH) qui appelle à un audit externe et une enquête par les commissions parlementaires de gestion. «Une chose est sûre, ces dépassements budgétaires ne doivent pas entraîner des coupes dans d'autres prestations publiques», ajoute la conseillère nationale Sarah Wyss (BS).
Dans le camp bourgeois, la gestion financière de l'armée fâche aussi. Mais pour l'heure, pas de pression politique. Les revendications sont d'un autre ordre. Ainsi, le conseiller national Jean-Luc Addor (UDC/VS) projette de déposer une motion pour accélérer la hausse du budget militaire, et le porter à 1% du produit intérieur brut (PIB) en 2030, soit quelque 10 milliards (contre 5 milliards actuellement).
Voilà qui réglerait les difficultés de gestion financière des troupes… ■