Les extrêmes allemands se retrouvent en Suisse
Cette fin de semaine, une représentante de l’extrême droite et le membre d’un réseau palestinien allemand interdit par Berlin tiennent salon dans notre pays. Un phénomène courant, que les autorités surveillent à distance
Les personnalités sulfureuses en provenance de pays voisins aiment la Suisse. En Suisse romande, le déménagement récent du négationniste français Alain Soral, condamné pour homophobie en octobre dernier à Lausanne, ou la venue d’Eric Zemmour pendant la campagne présidentielle française ont été particulièrement médiatisés. Mais la liste est bien plus longue. En octobre dernier était invité en Valais Pierre Hillard, auteur dont les journaux français rapportent qu’il proposait récemment de «déchoir les juifs de leur citoyenneté française». Ce dernier était convié par Civitas, organisation dissoute en France mais toujours active en Suisse.
Et outre-Sarine? La Suisse alémanique n’est pas en reste, elle accueillera deux activistes allemands particulièrement controversés ce week-end.
«Etablir des positions xénophobes dans la population»
Reinhild Bossdorf, pour commencer, qui s’exprimera ce samedi à Zurich à l’invitation du collectif Junge Tat (surveillé par Fedpol). Proche de Identitäre Bewegung (Mouvement identitaire), que l’Office fédéral de protection de la Constitution allemand (BfV) décrit comme un groupe «dont le but est d’établir des positions xénophobes et islamophobes au sein de la population», la jeune femme fait également partie de la Junge Alternative, parti jeune de l’Alternative für Deutschland (AfD), dont plusieurs branches régionales sont désormais «soupçonnées d’extrémisme de droite» ou «dont l’extrémisme de droite est avéré» par le BfV. Elle est également la figure de proue de Lukreta, mouvement féministe dont le fonds de commerce principal s’articule autour de la dénonciation de violences sexuelles commises par des migrants, qu’elle souhaite notamment endiguer par la «remigration».
Très en vogue, le terme utilisé par l’ensemble des mouvements identitaires européens (dont Junge Tat) désigne l’idée d’un retour «volontaire ou forcé» des populations «étrangères» (qu’elles disposent d’un passeport ou non) afin d’éviter le «grand remplacement» – autre théorie qui veut que les populations occidentales «de souche» soient peu à peu remplacées par des immigrants. Une thèse notamment revendiquée par l’auteur de la fusillade de Christchurch, en Nouvelle-Zélande, qui avait fait 51 morts en 2019. Or, la remigration, l’extrême droite fait désormais davantage que la rêver.
Dans une zone grise, ce type de rassemblement ne connaît en fait souvent qu’un obstacle: les propriétaires des salles de réunion
En novembre, un rassemblement réunissant l’AfD et de nombreux groupes identitaires à Potsdam évoquait la possibilité concrète de déplacer en Afrique du Nord 2 millions de «demandeurs d’asile, étrangers avec des titres de séjour, et d’Allemands d’origine étrangère non assimilés», suscitant de vastes manifestations dans tout le pays. La conférence de Reinhild Bossdorf ce samedi à Zurich ne parlera officiellement que de «politique familiale». Toutefois le service d’ordre est assuré par Junge Tat, ce qui peut laisser augurer un traitement aventureux de la thématique.
A Bâle, c’est la venue annoncée de Mohammed Khatib qui fait couler de l’encre. Représentant de la branche allemande du réseau international de solidarité avec les prisonniers palestiniens, Samidoun, il a été invité par l’organisation «révolutionnaire» bâloise Lotta à l’occasion d’une conférence sur la libération de la Palestine. Le problème: si Samidoun est autorisé en Suisse, ce n’est pas le cas en Allemagne, où le mouvement a été interdit et dissout par l’Office fédéral de protection de la Constitution en novembre dernier, à la suite de la tenue de «célébrations spontanées en réaction aux attaques terroristes du Hamas contre Israël», dixit Nancy Faeser, ministre de l’Intérieur de la République fédérale. Berlin considère que Samidoun, qui rejette le droit à l’existence d’Israël, a été créé par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), et listé comme organisation terroriste par l’Union européenne depuis 2002. Mohammed Khatib est cependant un habitué, note la NZZ, qui révélait ce jeudi que l’homme s’était déjà aventuré de ce côté-ci de la frontière début janvier et plusieurs fois l’année dernière.
Le service des renseignement ne peut rien faire
Que penser de ces visites sur sol helvétique? Qu’il s’agisse de personnalités sulfureuses de gauche ou de droite, la question est régulièrement posée par des politiciens et des journalistes au Service de renseignement de la Confédération (SRC), dont la mission est notamment de «détecter et combattre le terrorisme et l’extrémisme violent». Avec toujours cette même réponse: «Le SRC n’a aucune compétence pour traiter le cas de personnes qui se radicalisent politiquement tant qu’aucune référence concrète à la violence ne peut être établie». Sur le terrain, les forces de police des deux cités disent quant à elle «observer» la situation – en attendant de voir ce qu’il se passe.
Dans une zone grise, ce type de rassemblement ne connaît en fait souvent qu’un obstacle: les propriétaires des salles de réunion. A Bâle, le premier lieu destiné à l’allocution de Mohammed Khatib vient ainsi d’annoncer qu’il renonçait à l’événement (qui n’a pas pour autant été annulé, les organisateurs ayant vraisemblablement trouvé un endroit de repli). Organisés en secret, des conciliabules parviennent toutefois souvent à déjouer la vigilance des maîtres des lieux, suscitant d’intéressantes surprises. En novembre dernier, l’Ecole de musique de Bâle apprenait ainsi dans la presse avoir permis dans ses locaux une réunion des «citoyens du Reich» (individus remettant en cause la légitimité de l’Etat). Encore un groupe surveillé par l’Allemagne qui apprécie beaucoup la Suisse. ■