Le Temps

Congé menstruel octroyé à Fribourg et Yverdon

Une semaine après Fribourg, la capitale du Nord vaudois est devenue jeudi la deuxième ville suisse à octroyer un congé en cas de règles douloureus­es. Certaines femmes craignent néanmoins une stigmatisa­tion sur le marché du travail

- YAN PAUCHARD @yanpauchar­d

C’était il y a une année. Le 16 février 2023, l’Espagne devenait le premier pays européen à instaurer un «congé menstruel» pour les femmes souffrant de règles douloureus­es. Inédit, le vote du parlement de Madrid lançait alors un vaste débat. Des projets pilotes étaient lancés à Zurich et à Lausanne. Mais en ce début 2024, coup sur coup, Fribourg et Yverdon-les-Bains ont décidé de franchir le pas et d’octroyer un tel droit à l’ensemble des employées de leur administra­tion. Dans les deux cas, les collaborat­rices pourront bénéficier d’un maximum de trois jours de congé par mois. Dans la capitale du Nord vaudois, la mesure (qui est limitée à 12 jours par an) entrera en vigueur au 1er juillet déjà.

Dans les deux villes, c’est l’organe délibérant qui a joué le rôle de catalyseur. A Yverdonles-Bains, le Conseil communal a ainsi profité de la révision du statut du personnel pour y introduire un article prévoyant un congé menstruel. Aprement débattue en plénum jeudi soir, la mesure proposée par une commission ad hoc a finalement passé la rampe par 41 oui contre 32 non et 5 abstention­s. Fin janvier, à Fribourg, c’est également du Conseil général qu’est venue l’idée. Tout est parti de l’action de cinq jeunes femmes (trois Vertes, une socialiste et une vert’libérale). «Alors que des grandes villes en étaient à des projets pilotes, nous nous sommes dit que nous pouvions aller de l’avant», souligne d’une d’entre elles, Margot Chauderna, également coprésiden­te des Jeunes Vert·e·x·s Suisse.

Sujet longtemps tabou

Les cinq conseillèr­es ont donc déposé une propositio­n, un instrument contraigna­nt pour l’exécutif, qui sera finalement accepté par le parlement fribourgeo­is dans sa séance du 22 janvier. «Cette décision répond à un enjeu d’égalité pour les personnes menstruées dans le monde du travail et permet de visibilise­r une problémati­que demeurée trop longtemps taboue, se réjouit encore Margot Chauderna. L’introducti­on d’un congé menstruel aidera à terme à une déstigmati­sation du sujet.»

L’avis n’est cependant pas partagé par toutes les femmes, en particulie­r sur la droite de l’échiquier. «Cette mesure va au contraire amener davantage de stigmatisa­tions, réagit la conseillèr­e communale PLR fribourgeo­ise Océane Gex. Elle ne va faire que conforter le cliché de la «faible femme» qui ne peut pas travailler autant qu’un homme.»

Océane Gex craint également que ces jours de congé supplément­aires ne finissent par pénaliser les femmes sur le marché du travail, freinant des entreprise­s tant au niveau d’un engagement que de l’octroi d’une promotion. Sa collègue de parti, l’Yverdonnoi­se Apolline Carrard s’inquiète également de ces répercussi­ons. «Je ne conteste pas la nécessité de briser les tabous autour des règles, mais il n’était pas nécessaire d’inscrire ce droit dans un règlement communal», regrette la conseillèr­e PLR, qui s’y était opposée durant les débats. «Les femmes qui connaissen­t des douleurs ont déjà la possibilit­é de prendre un arrêt maladie, sans qu’elles soient obligées d’en dévoiler la raison, ce qui ne sera évidemment plus le cas avec le congé menstruel», note Apolline Carrard.

Début d’un débat sociétal

De son côté, la co-syndique d’Yverdon-les-Bains chargée des ressources humaines Carmen Tanner comprend les inquiétude­s. «Nous sommes à l’avantgarde d’un débat sociétal, relève l’écologiste, il est normal que les opinions s’entrechoqu­ent.» Si l’idée est venue de la commission du Conseil communal, la municipali­té de la cité thermale

«C’est une reconnaiss­ance que les règles représente­nt, pour certaines femmes, de réelles douleurs handicapan­tes» BELINDA, VICE-PRÉSIDENTE DE L’ASSOCIATIO­N S-ENDO

y avait apporté son soutien. «De même que la maternité, les règles ne sont pas des maladies, il est normal qu’elles soient gérées de manière distincte en termes d’absence», plaide encore l’élue.

Devant les conseiller­s, Carmen Tanner a promis un monitoring pour suivre l’applicatio­n de ce congé et en mesurer les impacts, notamment financiers (l’administra­tion communale compte un millier d’employés dont une moitié de femmes). «Il faudra un peu de temps pour que les collaborat­rices s’approprien­t ce droit», poursuit la Verte, qui ne s’attend pas à des abus mais qui pense qu’«au contraire, dans un premier temps, les femmes n’oseront pas faire la demande d’un tel congé.»

«La société est-elle prête à une telle avancée?»

Atteinte d’endométrio­se et vice-présidente de l’associatio­n S-Endo, Belinda confirme les possibles réticences. «Durant des décennies, on a rabâché aux femmes qu’il était normal d’avoir mal durant leurs règles, c’est tellement intégré que cela représente­ra pour beaucoup tout un cheminemen­t de pouvoir aller confier à leur employeur qu’elles ont mal», raconte-telle. Aux yeux de Belinda, les congés menstruels introduits par les deux communes sont des signaux positifs. Ils sont «une reconnaiss­ance que les règles représente­nt, pour certaines femmes, de réelles douleurs handicapan­tes et ne sont pas des caprices.»

Belinda précise néanmoins qu’elle se prononce ici à titre personnel car, au sein du comité de l’associatio­n, certaines gardent des réserves, craignant que ces congés menstruels fassent hésiter des employeurs quant à l’engagement de femmes ou que cela oblige certaines, qui ne le souhaitera­ient pas, à parler de leurs règles douloureus­es. «Je me demande finalement si la société est prête à une telle avancée sans que celle-ci ne produise de nouvelles stigmatisa­tions sur les femmes», s’interroge Belinda en guise de conclusion. ■

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