L’art de perdre
Il faut toujours avoir dans sa poche le discours de la défaite, conseillait aux jeunes impétrants en politique l'ancien conseiller fédéral Pascal Couchepin, depuis son ermitage de Martigny. Perdre avec élégance est un art. On ne sait pas lequel, de son disciple Philippe Nantermod ou du chef syndicaliste Pierre-Yves Maillard, aura à sortir son discours de perdant, au soir du 3 mars, après la votation sur l'initiative pour une 13e rente AVS.
En attendant, on pardonnera à quelques imprudents candidats et candidates aux dernières élections fédérales de ne pas avoir eu de discours de la défaite dans la poche. Cela aurait évité des psychodrames. Après, chacun a sa manière d'accuser le coup: en faisant face pour rebondir différemment ou en tournant le dos pour disparaître. Saluons celles et ceux qui ont le courage d'assumer.
Dans la vie scolaire, privée, professionnelle ou l'activité économique, la société suisse est, en comparaison internationale, particulièrement intolérante face à l'échec. Alors qu'en politique, la défaite est le lot quotidien. En politique comme dans les affaires judiciaires, on n'a que vingt-quatre heures pour maudire ses juges. Après, il faut avaler ses déceptions ou disparaître. On peut même dire que la culture de l'échec, cette capacité à encaisser les déceptions, est indissociable du compromis. Accepter de perdre ici en espérant gagner ailleurs.
C'est qu'avec une moyenne de deux objets pour les quatre votations habituelles par année, chacun de nous, de gauche ou de droite, accepte ainsi le risque de se retrouver huit fois dans les perdants. A moins d'être sympathisant des vert'libéraux, dont les prises de position, durant la dernière législature, se sont révélées coller le mieux à la majorité des électeurs lors des votations avec un taux de 72,2%. Ce qui n'a pas empêché ce parti d'être l'un des plus grands perdants des élections fédérales. Et c'est bien ce rééquilibrage continuel de la balance, d'une votation à l'autre jusqu'aux élections, qui permet à chaque citoyenne ou citoyen d'espérer être la prochaine fois dans les rangs des vainqueurs. La Suisse est un pays de minorités qui de temps à autre constituent une majorité à géométrie variable. Et c'est ce qui garantit sa cohésion.
Certes, toutes les votations ne se valent pas. Si la gauche socialiste et écologiste peut se satisfaire de se retrouver dans 55% des cas du côté des vainqueurs des votations, elle ne parvient que rarement à faire passer ses propres initiatives en matière fiscale, sociale ou environnementale. De leur côté, le PLR et Le Centre, qui se sont retrouvés à 66,7% dans le camp des vainqueurs de votations, ont connu des résultats divergents lors des élections fédérales. Et le vent, qui jusqu'ici soufflait dans leurs voiles, s'est ramolli.
Durant la dernière législature, dans un tiers des votations, les électeurs, qui autrefois les suivaient, les ont désavoués. Dès lors, une victoire de l'initiative pour une 13e rente AVS le 3 mars, ou le 9 juin de celle pour limiter les primes d'assurance maladie à 10% du revenu, confirmerait un véritable virage en matière de politique sociale.
Les Suisses ont depuis longtemps intégré le fait que l'échec en politique n'est qu'une interruption. Pas un désastre. Ce qui comptera, finalement, au soir du 3 mars, c'est l'orientation de la dynamique électorale.
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