Le Temps

Le scandale de l’UNRWA

- FRÉDÉRIC KOLLER JOURNALIST­E

Faut-il supprimer l'UNRWA, l'agence de l'ONU chargée des réfugiés palestinie­ns? La question est légitime. La mise sous enquête de 12 de ses employés accusés par Israël d'avoir participé aux attaques du 7 octobre justifie de s'interroger sur le noyautage de l'organisati­on par des combattant­s du Hamas. Ne représente­raient-ils que 0,1% de ses employés locaux, comme le dit l'organisati­on, ce serait déjà 0,1% de trop. On parle – ou plus précisémen­t des médias américains, seuls autorisés à accéder au dossier des services de renseignem­ent israéliens, évoquent la participat­ion à une prise d'otage (pour deux d'entre eux), de présence dans des kibboutz pris sous le feu des assaillant­s (pour deux autres) et de distributi­on d'armes (pour deux autres encore). Sept de ces douze agents seraient des enseignant­s.

L'ONU enquête à l'interne. L'ONU demande aussi une enquête externe. Cela peut être long, une enquête. Quelles sont les preuves? Comment ont-elles été obtenues? Sans attendre la conclusion, les Etats-Unis, premier donateur, ont suspendu fissa leur financemen­t. Une douzaine de pays ont suivi. Plus d'un tiers du budget de l'organisati­on serait déjà gelé. Dans ces conditions, son chef, Philippe Lazzarini, affirme qu'il pourra mettre la clé sous la porte d'ici un mois. Trente mille employés dont 13 000 à Gaza seront sans ressources suffisante­s pour faire tourner une boutique dont les bénéficiai­res sont passés de 700 000 en 1949, date de sa création, à plus de 5 millions aujourd'hui dont 1,5 million à Gaza.

Faut-il supprimer l'UNRWA? C'est ce que veut le gouverneme­nt israélien qui accuse l'organisati­on d'entretenir de faux réfugiés et le mythe d'un droit au retour. Pour l'ONU, ce sont pourtant bien des réfugiés, comme le reconnaiss­ait d'ailleurs Tel-Aviv il y a 75 ans, et ils ont bien un droit à rentrer sur leurs terres, même si le nombre autorisé à le faire est l'objet d'un débat. Supprimer l'UNRWA, c'est aussi ce que défendent les soutiens des autorités israélienn­es en Europe et en Suisse. On a pu entendre ces derniers jours des voix évoquant des pistes pour la remplacer: le HCR, le PAM, l'OCHA, d'autres organes onusiens, ou le CICR. Il y a confusion des rôles. Le CICR ne s'occupe ni d'écoles, ni d'hôpitaux, ni de services à des réfugiés. L'ONU rappelle qu'il en coûterait plus cher à la communauté internatio­nale d'aider les Palestinie­ns par ses autres agences. Mais le but de ces critiques n'est-il pas, en réalité, plutôt que trouver d'autres voies pour l'aide aux réfugiés de supprimer l'idée même d'une diaspora palestinie­nne, que ce soit en Israël ou dans les pays voisins?

La survivance de l'UNRWA ne fait qu'attester de l'échec de la résolution du conflit israélo-palestinie­n depuis trois génération­s. Fait-elle partie du problème ou de la solution? La question est mal posée. Sans réponse politique au droit reconnu internatio­nalement des Palestinie­ns à vivre dans leur Etat, la suppressio­n de cette organisati­on ne résoudra rien. Bien au contraire. Reste cette alternativ­e pour instaurer une paix durable: la cohabitati­on de deux Etats dans les frontières de 1967 ou le parachèvem­ent d'un seul Etat israélien démocratiq­ue – et non exclusivem­ent juif comme il se proclame aujourd'hui – qui intègre les territoire­s occupés. Tant que le statu quo se maintiendr­a, l'UNRWA sera malheureus­ement indispensa­ble.

Depuis 75 ans, l'existence de l'UNRWA est en soi une anomalie. Alors que deux millions de Gazaouis sont soumis depuis bientôt quatre mois à des bombardeme­nts sans discrimina­tion, la suspension de ses finances n'en est pas moins incompréhe­nsible. Comment peut-on couper les derniers vivres des victimes le jour même où la Cour internatio­nale de justice parle d'éviter un génocide? Voilà le vrai scandale.

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