Le Temps

Des Suisses critiquent les nouvelles règles d’Apple

Forcé par l’Union européenne d’assouplir les règles pour son magasin d’applicatio­ns, Apple a présenté des nouveautés. C’est de la poudre aux yeux, critiquent Proton et Threema, qui appellent Bruxelles à durcir le ton

- ANOUCH SEYDTAGHIA @Anouch

Ces derniers jours, les dirigeants de Microsoft, Spotify, Meta ou encore Epic Games, l’éditeur du jeu Fortnite, se sont attaqués à Apple. Ces géants de la technologi­e ne sont pas les seuls à s’en prendre à la marque à la pomme. Cette semaine, l’éditeur suisse de l’applicatio­n Threema a lui aussi dit tout le mal qu’il pensait des nouvelles règles prévues pour l’App Store. Contacté par Le Temps, le genevois Proton – dont les services comptent plus de 100 millions d’utilisateu­rs – affiche lui aussi sa colère face à la stratégie de la multinatio­nale américaine.

Pourquoi une telle tension actuelleme­nt? Le 6 mars prochain entre en vigueur le Digital Markets Act (DMA, ou législatio­n sur les marchés numériques). En résumé, ce nouveau règlement décidé par l’Union européenne vise à ouvrir des plateforme­s en ligne à la concurrenc­e. Les gatekeeper­s, ou «contrôleur­s d’accès», doivent assouplir leurs règles et laisser d’autres acteurs proposer des services, sans discrimina­tion, sur ces plateforme­s.

Et cela concerne notamment l’App Store d’Apple. Actuelleme­nt, c’est le seul magasin d’applicatio­n sur l’iPhone et l’iPad, et il est impossible d’installer une app par un autre biais (ce que permet par contre déjà Google sur les téléphones Android). Et Apple décide des commission­s qu’il prélève sur les ventes d’applicatio­ns et sur les abonnement­s ou services achetés au sein de celles-ci. Sommé par Bruxelles d’assouplir ces règles, Apple a annoncé des mesures.

La version 17.1 du système iOS pour iPhone et iPad, disponible dans quelques jours, autorisera d’autres magasins d’applicatio­ns. Mais Apple conservera un certain contrôle sur les apps proposées. Et surtout, la société avertit: ces nouvelles boutiques «ouvrent de nouvelles voies aux virus, fraudes et arnaques, aux contenus illicites et violents, ainsi qu’à d’autres menaces liées à la vie privée et à la sécurité».

De plus, il sera possible pour les développeu­rs d’utiliser un autre système de paiement que celui de l’App Store, qui prélève en général une commission de 30%. Mais la procédure de paiement s’annonce

«Apple continuera à étouffer la concurrenc­e et l’innovation» ANDY YEN, FONDATEUR ET DIRECTEUR DE PROTON

complexe et la commission prélevée par Apple devrait être de 27%. Ajoutons que les éditeurs dont les apps sont téléchargé­es plus d’un million de fois devront payer à Apple 50 centimes par utilisateu­r et par an.

Threema, qui compte plus de 10 millions de clients pour son app de messagerie, estime que «la propositio­n d’Apple est une déception, pour ne pas dire une farce». «La propositio­n présentée n’est pas une véritable solution, mais une complicati­on confuse qui ne peut avoir pour seul objectif que de permettre à Apple de conserver de facto sa position de monopole», estime Martin Blatter, directeur de Threema. Selon lui, «la mise sous tutelle des utilisateu­rs iOS et les frais disproport­ionnés au détriment des développeu­rs d’applicatio­ns demeurent».

Threema demande «avec insistance à la Commission européenne de ne pas accepter cette fausse solution et d’obliger Apple à présenter une propositio­n sérieuse et pratique».

Des clients «effrayés»

Contacté par Le Temps, la société genevoise Proton, qui compte plus de 100 millions d’utilisateu­rs de ses services de messagerie, de VPN et de gestionnai­res de mot de passe, est tout aussi critique. «Autoriser les paiements alternatif­s et les places de marché semble positif en apparence, mais les conditions liées aux nouvelles politiques d’Apple signifient qu’en pratique, il sera impossible pour les développeu­rs d’en bénéficier, affirme Andy Yen, fondateur et directeur général de Proton. Les messages pour effrayer les clients et les autres limitation­s entraveron­t sérieuseme­nt l’adoption et ne changeront en fait pas le statu quo. Les entreprise­s comme Apple savent parfaiteme­nt comment manipuler les consommate­urs et ne manqueront pas de le faire pour conserver leur position dominante sur le marché.»

Pour Andy Yen, «Apple continuera à étouffer la concurrenc­e et l’innovation. Même si la société autorise le télécharge­ment d’applicatio­ns par d’autres voies, les nouveaux frais et restrictio­ns ne font que renforcer l’emprise d’Apple sur son écosystème.» Andy Yen estime par ailleurs que ces mesures «éroderont également les droits fondamenta­ux des utilisateu­rs en donnant à Apple la possibilit­é d’examiner les applicatio­ns téléchargé­es en dehors de l’App Store. Où s’arrêtera cette surveillan­ce?»

Andy Yen affirme que «la Commission européenne ne peut pas laisser passer cette entorse flagrante aux règles. Mais en face, Thierry Breton, commissair­e européen au Marché intérieur, affirmait récemment ceci: «Davantage de choix pour les consommate­urs et plus d’opportunit­és pour les petites entreprise­s technologi­ques innovantes. Le DMA ouvrira les portes de l’internet à la concurrenc­e.» ■

 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from Switzerland