«Le canton de Neuchâtel n’est pas une terre des cryptomonnaies»
Le conseiller d’Etat neuchâtelois Alain Ribaux revient sur le désengagement de la BCN à l’égard du secteur crypto. Il reconnaît que ce revirement pourrait avoir des conséquences
Le Conseil d’Etat neuchâtelois va-t-il revoir son soutien à l’écosystème crypto local, alors que la Banque cantonale (BCN) a décidé de ne plus traiter certaines activités liées au négoce des cryptomonnaies? Le Temps a rencontré le ministre Alain Ribaux, chargé notamment de l’Economie, dans ses bureaux pour lui poser la question.
C’en est fini de l’écosystème crypto à Neuchâtel? Notre canton n’est pas, comme j’ai pu le lire ailleurs, une terre des cryptomonnaies. Ce qui a toujours intéressé Neuchâtel, ce sont les applications industrielles que peut offrir cette technologie, à laquelle est rattachée la blockchain. Nous y voyons l’opportunité de soutenir notre tissu économique. Ce dernier est composé de 40% d’emplois dans le secteur industriel, c’est inédit en Europe. Nous voyons même des opportunités pour rapatrier davantage d’activités industrielles ces prochaines années. Nous nous positionnons comme un haut lieu de l’innovation technologique. Nous avons donc vu dans la blockchain une opportunité pour créer des
«Je vois mal la BCN assumer des risques dans un secteur qui lui fait perdre de l’argent»
solutions applicables à des industries comme l’horlogerie, notamment sur le plan de la traçabilité.
Que vous inspire la décision de la BCN? Les motifs invoqués par l’établissement nous paraissent légitimes. Lorsque la BCN s’est engagée il y a 10 ans dans le développement d’un écosystème propre aux technologies blockchain, la situation était bien différente. Il y a d’abord eu l’installation de Bity, un premier intermédiaire financier dans le domaine des cryptomonnaies, qui a très vite joué un rôle moteur dans l’attractivité du canton. La notoriété de son cofondateur
Alexis Roussel, qui est reconnu à l’international dans ce domaine, y a beaucoup contribué. D’autres acteurs actifs dans le négoce se sont alors établis dans le canton, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. En 2014, les volumes traités par ces sociétés étaient limités. Aujourd’hui, ces montants ont explosé, et concernent des transactions qui n’ont même plus de lien avec la région. Pour la banque, cela nécessite un travail de vérification bien trop important.
La banque n’aurait-elle pas pu anticiper ces évolutions? Peut-être qu’elle aurait pu s’adapter si elle avait vu dans ce modèle d’affaires une activité rentable, mais tel n’a pas été le cas. Je vois mal la BCN assumer des risques dans un secteur qui lui fait perdre de l’argent.
Au sein de l’écosystème, beaucoup pensent que l’autorité de surveillance des marchés financiers, la Finma, a fait pression sur la banque. Celle-ci conteste. Votre appréciation personnelle diffère-t-elle? On ne peut pas dire que la Finma saute d’enthousiasme face aux cryptomonnaies. Mais la cause est à chercher ailleurs. La chute de Credit Suisse a entraîné un resserrement réglementaire généralisé, qui pousse les banques à réévaluer leur gestion des risques.
Le revirement de la BCN pourrait freiner la croissance de l’écosystème neuchâtelois, non? C’est une éventualité. Pour moi, ce secteur a pris son envol. Il est actuellement confronté à des turbulences, mais il ne dévie pas de sa trajectoire. Nous allons faire de notre mieux pour que cette situation ne provoque pas le départ d’acteurs aussi importants que Bity. Notre objectif est de les convaincre que la proximité avec Neuchâtel reste cruciale pour leur développement. Le canton n’a pas changé d’approche, il veut soutenir les acteurs qui contribuent à renforcer son tissu industriel. Nous avons d’ailleurs rejoint la Swiss Blockchain Federation, une organisation publique-privée qui vise à promouvoir l’attractivité de la Suisse pour ce secteur.
Mais Bity a besoin d’un nouveau partenaire bancaire pour continuer ses activités. Oui, et je ne sais pas s’ils réussiront à en trouver un prêt à soutenir ce marché, du moins dans les mêmes conditions qui étaient offertes par la BCN. Malgré tout, la banque n’a pas expulsé de clients. Certaines activités pourront subsister, et nous devons encore discuter avec l’établissement et les acteurs locaux pour définir lesquelles et sous quelles conditions.
D’autres banques cantonales, comme celles de Lucerne et Zoug, ont annoncé l’an dernier leur décision d’entrer sur ce marché. Je demande à voir si elles s’y maintiendront. ■