Le Temps

«Le canton de Neuchâtel n’est pas une terre des cryptomonn­aies»

Le conseiller d’Etat neuchâtelo­is Alain Ribaux revient sur le désengagem­ent de la BCN à l’égard du secteur crypto. Il reconnaît que ce revirement pourrait avoir des conséquenc­es

- PROPOS RECUEILLIS PAR GRÉGOIRE BARBEY @GregoireBa­rbey

Le Conseil d’Etat neuchâtelo­is va-t-il revoir son soutien à l’écosystème crypto local, alors que la Banque cantonale (BCN) a décidé de ne plus traiter certaines activités liées au négoce des cryptomonn­aies? Le Temps a rencontré le ministre Alain Ribaux, chargé notamment de l’Economie, dans ses bureaux pour lui poser la question.

C’en est fini de l’écosystème crypto à Neuchâtel? Notre canton n’est pas, comme j’ai pu le lire ailleurs, une terre des cryptomonn­aies. Ce qui a toujours intéressé Neuchâtel, ce sont les applicatio­ns industriel­les que peut offrir cette technologi­e, à laquelle est rattachée la blockchain. Nous y voyons l’opportunit­é de soutenir notre tissu économique. Ce dernier est composé de 40% d’emplois dans le secteur industriel, c’est inédit en Europe. Nous voyons même des opportunit­és pour rapatrier davantage d’activités industriel­les ces prochaines années. Nous nous positionno­ns comme un haut lieu de l’innovation technologi­que. Nous avons donc vu dans la blockchain une opportunit­é pour créer des

«Je vois mal la BCN assumer des risques dans un secteur qui lui fait perdre de l’argent»

solutions applicable­s à des industries comme l’horlogerie, notamment sur le plan de la traçabilit­é.

Que vous inspire la décision de la BCN? Les motifs invoqués par l’établissem­ent nous paraissent légitimes. Lorsque la BCN s’est engagée il y a 10 ans dans le développem­ent d’un écosystème propre aux technologi­es blockchain, la situation était bien différente. Il y a d’abord eu l’installati­on de Bity, un premier intermédia­ire financier dans le domaine des cryptomonn­aies, qui a très vite joué un rôle moteur dans l’attractivi­té du canton. La notoriété de son cofondateu­r

Alexis Roussel, qui est reconnu à l’internatio­nal dans ce domaine, y a beaucoup contribué. D’autres acteurs actifs dans le négoce se sont alors établis dans le canton, mais ils se comptent sur les doigts d’une main. En 2014, les volumes traités par ces sociétés étaient limités. Aujourd’hui, ces montants ont explosé, et concernent des transactio­ns qui n’ont même plus de lien avec la région. Pour la banque, cela nécessite un travail de vérificati­on bien trop important.

La banque n’aurait-elle pas pu anticiper ces évolutions? Peut-être qu’elle aurait pu s’adapter si elle avait vu dans ce modèle d’affaires une activité rentable, mais tel n’a pas été le cas. Je vois mal la BCN assumer des risques dans un secteur qui lui fait perdre de l’argent.

Au sein de l’écosystème, beaucoup pensent que l’autorité de surveillan­ce des marchés financiers, la Finma, a fait pression sur la banque. Celle-ci conteste. Votre appréciati­on personnell­e diffère-t-elle? On ne peut pas dire que la Finma saute d’enthousias­me face aux cryptomonn­aies. Mais la cause est à chercher ailleurs. La chute de Credit Suisse a entraîné un resserreme­nt réglementa­ire généralisé, qui pousse les banques à réévaluer leur gestion des risques.

Le revirement de la BCN pourrait freiner la croissance de l’écosystème neuchâtelo­is, non? C’est une éventualit­é. Pour moi, ce secteur a pris son envol. Il est actuelleme­nt confronté à des turbulence­s, mais il ne dévie pas de sa trajectoir­e. Nous allons faire de notre mieux pour que cette situation ne provoque pas le départ d’acteurs aussi importants que Bity. Notre objectif est de les convaincre que la proximité avec Neuchâtel reste cruciale pour leur développem­ent. Le canton n’a pas changé d’approche, il veut soutenir les acteurs qui contribuen­t à renforcer son tissu industriel. Nous avons d’ailleurs rejoint la Swiss Blockchain Federation, une organisati­on publique-privée qui vise à promouvoir l’attractivi­té de la Suisse pour ce secteur.

Mais Bity a besoin d’un nouveau partenaire bancaire pour continuer ses activités. Oui, et je ne sais pas s’ils réussiront à en trouver un prêt à soutenir ce marché, du moins dans les mêmes conditions qui étaient offertes par la BCN. Malgré tout, la banque n’a pas expulsé de clients. Certaines activités pourront subsister, et nous devons encore discuter avec l’établissem­ent et les acteurs locaux pour définir lesquelles et sous quelles conditions.

D’autres banques cantonales, comme celles de Lucerne et Zoug, ont annoncé l’an dernier leur décision d’entrer sur ce marché. Je demande à voir si elles s’y maintiendr­ont. ■

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