Lâchées par la BCN, les sociétés cryptos cherchent de nouveaux partenaires bancaires
La décision de la Banque cantonale neuchâteloise de ne plus autoriser les fonds issus du négoce de cryptomonnaies a des répercussions sur les entreprises du secteur dans le canton
Les entreprises neuchâteloises actives dans le secteur des cryptomonnaies n’en reviennent toujours pas. Le revirement de la Banque cantonale neuchâteloise (BCN) à leur égard, révélé par Le Temps, a provoqué l’émoi au sein d’un écosystème régulièrement cité en exemple, y compris à l’étranger. Toutes les sociétés contactées sont unanimes: cette décision les force à trouver un nouveau partenaire bancaire.
«Je n’en reviens toujours pas», réagit Arnaud Salomon, fondateur de Mt Pelerin, un intermédiaire financier spécialisé dans la vente et l’achat de cryptomonnaies. «En décembre, nous avions eu des échanges avec la BCN pour construire l’avenir, et début janvier, j’ai été convoqué par le directeur de l’institution qui m’a annoncé que la banque nous laissait jusqu’à fin juin pour migrer vers un autre établissement», explique-t-il.
Convertir les cryptomonnaies en francs
En effet, la banque neuchâteloise a décidé de ne plus accepter de fonds issus du négoce de cryptomonnaies. Pour comprendre de quoi il retourne, il faut revenir sur le fonctionnement même de cet écosystème particulier. Les entreprises qui sont actives dans ce secteur gèrent des fonds en cryptomonnaies. C’est le cas d’Alephium, qui développe sa propre blockchain. «Pour nous financer, nous avons effectué une «prévente» de notre jeton alph avant que notre blockchain soit officiellement lancée», indique Maud Bannwart, cheffe des opérations chez Alephium. Le prix du jeton était alors de 12,5 centimes. Mais ce montant a été versé par les acquéreurs sous la forme de cryptomonnaies, comme du bitcoin ou de l’ether. Or, l’entreprise doit verser des salaires, payer des prestataires ou s’acquitter de ses impôts, le tout en francs suisses. D’où l’importance d’avoir un compte bancaire au sein d’un établissement «traditionnel».
C’est là qu’interviennent des intermédiaires financiers comme Mt Pelerin ou Bity. Alephium leur transfère les cryptomonnaies que l’entreprise souhaite convertir en francs suisses. Ces intermédiaires s’occupent de les vendre sur des plateformes comme Kraken, puis envoient depuis leur propre compte bancaire ouvert auprès de la BCN les francs suisses correspondants. Comme il s’agit d’acteurs régulés, ils doivent également réaliser des vérifications de l’origine des fonds, à des fins de lutte contre le blanchiment d’argent.
Jusqu’ici, la BCN acceptait que les fonds issus de ces opérations de change de cryptomonnaies transitent par son système, notamment parce qu’elle se reposait en grande partie sur le travail effectué par Bity, Mt Pelerin et autres. «Bien sûr, ils nous posent des questions sur certains clients, et nous échangeons des informations au cas par cas», précise Arnaud Salomon. La banque a toujours effectué certaines vérifications de son côté, mais faisait confiance par défaut aux intermédiaires régulés.
Et c’est justement cet aspect qui a changé dans la pratique de la BCN. Celle-ci a décidé de vérifier systématiquement toutes les contreparties à une transaction, mettant de facto un terme à la notion de confiance qui prévalait jusqu’ici. Une charge de travail qu’elle ne peut pas assumer seule, compte tenu des volumes en jeu. Yves Honoré, directeur de Bity, évoque un montant de quelques centaines de millions de francs en 2023.
«La BCN n’a tout simplement pas les ressources pour effectuer ces vérifications», assure de son côté Arnaud Salomon. L’établissement bancaire a donc demandé à Bity et à Mt Pelerin de trouver un autre partenaire d’ici à la fin du mois de juin. Une demande jugée irréaliste par Arnaud Salomon: «Une migration bancaire ne se fait pas en cinq mois, il va forcément y avoir des complications.» Pour l’intéressé, le revirement de la BCN est difficile à comprendre, alors même que les banques cantonales de Zoug et Lucerne ont lancé l’an dernier des offres spécifiques aux cryptomonnaies.
Pour Mt Pelerin, ces prochains mois seront essentiellement consacrés à trouver une solution, plutôt que de se concentrer sur la croissance de l’entreprise. Bity est dans le même cas, même si Yves Honoré précise que certaines opérations pourraient continuer à transiter par la BCN, comme les recettes issues de l’achat de cryptomonnaies réalisé avec de l’argent liquide auprès de distributeurs automatiques. Certaines levées de fonds pourraient aussi bénéficier d’une exception. Mais tous ces éléments demeurent incertains à ce stade, et ne sont pas suffisants pour continuer de s’appuyer uniquement sur l’établissement bancaire neuchâtelois.
Bity a donc déjà commencé les recherches pour trouver un nouveau partenaire bancaire. «Nous n’avons pas eu de refus immédiat et sommes avec certaines banques dans un processus de vérification de la conformité», assure Yves Honoré. Même son de cloche du côté de Mt Pelerin, qui travaille déjà avec d’autres établissements pour certaines opérations. Arnaud Salomon tient toutefois à rassurer: «Notre service n’est pas menacé d’interruption, nous avons une autre relation bancaire et faisons le nécessaire pour en ouvrir d’autres.»
Des frais raisonnables
La BCN a décidé de systématiquement vérifier toutes les contreparties à une transaction, mettant de facto un terme à la notion de confiance qui prévalait jusqu’ici
«Une migration bancaire ne se fait pas en cinq mois, il va forcément y avoir des complications»
ARNAUD SALOMON, FONDATEUR DE MT PELERIN
«Nous voulons trouver une banque fiable, qui propose des tarifs raisonnables», précise pour sa part Maud Bannwart. A l’époque, Alephium s’était tournée vers des banques privées. L’une d’entre elles avait proposé à l’entreprise d’ouvrir un compte moyennant des frais annuels s’élevant à 50 000 francs. «C’est un coût inenvisageable pour une start-up», s’étrangle la cheffe des opérations d’Alephium. Les tarifs d’une banque commerciale comme la BCN sont en principe beaucoup plus abordables.
Certaines entreprises sont moins affectées par la décision de la BCN, mais celle-ci crée malgré tout des incertitudes. C’est le cas pour Hodling, une société spécialisée dans les solutions de conservation de bitcoins. Son cofondateur, Alexandre Poltorak, explique: «Nous n’avons que très peu d’opérations en cryptomonnaies, notre seule crainte est de ne plus pouvoir convertir une partie de nos fonds que nous détenons sous la forme de bitcoins.»
Si Hodling est liée à Bitcoin, l’entreprise ne propose pas d’émission de jetons ou de négoce de cryptomonnaies. La nature de son activité la rapproche plus d’une entreprise «traditionnelle». La BCN a d’ailleurs décidé de considérer la start-up comme un client normal, alors qu’elle était précédemment classée à risque, ce qui impliquait des frais supérieurs. ■