Le Temps

Bryan Balsiger, le prix de l’indépendan­ce

En septembre, le cavalier neuchâtelo­is a décidé de se séparer de son mécène Olivier de Coulon. Dans un sport où l’argent est nécessaire, mais pas suffisant, à la réussite, gagner en autonomie demande du courage et un travail de longue haleine

- LORÈNE MESOT @Lorene_Mesot

C’est le jeu, cruel, des selles musicales. Celui qui lie tout cavalier de haut niveau à celui (ou celle, ou ceux) qui lui fournit des chevaux d’exception. Quand le bonheur des uns ne fait plus les affaires des autres, la musique s’arrête et les rênes finissent par changer de mains. En 2006, Steve Guerdat, alors premier cavalier du marchand de chevaux néerlandai­s Jan Tops, claquait la porte après que ce dernier a vendu Tijl, sa meilleure monture, sans préavis. Dans l’autre sens, c’est Xavier Marie, propriétai­re du haras de Hus, qui annonçait en 2012 la fin de sa collaborat­ion avec l’ancien numéro 1 mondial Kevin Staut après lui avoir retiré une jument à quelques mois des Jeux de Londres.

En septembre, le milieu équestre romand a connu pareil scénario quand le virtuose de Corcelles (NE), Bryan Balsiger, s’est séparé de son mécène neuchâtelo­is Olivier de Coulon en quittant les Ecuries les Verdets, à Saint-Blaise. Cette fois encore, des dissension­s importante­s, mais aussi beaucoup de reconnaiss­ance. «Je n’oublierai jamais la chance qui m’a été donnée d’évoluer avec de tels chevaux», dit-il avec la pudeur qui caractéris­e les peines de coeur qui n’ont pas encore cicatrisé. Le champion d’Europe par équipes 2021 n’éprouve pourtant aucun regret. «J’essaie toujours de me rappeler pourquoi j’ai emprunté ce chemin-là», note-t-il en épousant du regard la pièce où il est attablé, au Centre équestre du Cudret, l’écurie familiale située sur les hauteurs de Corcelles.

C’est ici qu’il a grandi, entre les conseils de son père Thomas – son entraîneur de toujours – et les railleries de son cavalier de frère, Ken, ici qu’il travaille et peaufine sa nouvelle cavalerie, constituée de 12 chevaux aux horizons très variés. Certains jeunes lui appartienn­ent, d’autres, plus âgés et expériment­és, lui sont mis à dispositio­n par différents propriétai­res dont l’Argentin Jose Maria Larocca (en copropriét­é), basé à Genève, la famille Schreier et Paul Bücheler, ancien mécène du Suisse Beat Mändli. Une écurie plurielle, alimentée par plusieurs propriétai­res et non plus un seul, qui lui permet de développer son propre projet. Avec in fine, une pratique sportive où le rapport de force entre le cavalier et ses mécènes est moins asymétriqu­e. «Je vise plutôt des propriétai­res qui me font confiance et qui sont prêts à miser sur le long terme», détaille-t-il.

Le marathon plutôt que le sprint

Le chemin pris par Bryan Balsiger est donc celui de l’indépendan­ce. «J’ai toujours souhaité être à mon compte. Pour me retrouver dans ma façon de travailler à 100%, pouvoir gérer l’évolution de mes chevaux sur le long terme, organiser leur entraîneme­nt et planifier les concours», détaille-t-il. Le prix est lourd à payer. En l’espace de quatre mois, le jeune homme, qui était 30e au classement mondial en août, a dégringolé d’une quinzaine de places. Tout juste de retour sur le circuit, avec, notamment, les expériment­és Ermindo W et Quintino 9 (15 ans chacun), il n’a pas encore retrouvé son meilleur niveau, explique-t-il.

Une sélection pour les Jeux olympiques de Paris 2024 n’est pas complèteme­nt impossible, mais sera compliquée tant les papables sont nombreux cette année. Pour le Neuchâtelo­is toutefois, plus que la frustratio­n des concours sans podium, «le plus dur à accepter, c’est de voir ses anciens chevaux évoluer avec un autre. J’ai un oeil sur leurs résultats, mais je ne les regarde pas en concours», glisse-t-il à l’évocation de ses anciens cracks AK’s Courage, Clouzot de Lassus ou Dubai du Bois Pinchet, confiés désormais au Lucernois Pius Schwizer.

A 27 ans, Bryan Balsiger rêve d’une carrière à la Marcus Ehning ou à la Steve Guerdat, «qui brillent sur la durée, avec plusieurs chevaux patiemment formés», souligne-t-il. «Je veux une équitation propre, être fier en me voyant monter, poursuit-il. C’est un sport où les carrières sont plus longues qu’ailleurs. J’essaie donc de voir loin, avec plusieurs jeunes chevaux en qui je crois. Je travaille pour être, à nouveau, devant, et ce jour-là, je serai encore plus satisfait.» Viser loin et prendre son temps? Un «luxe» qu’il n’aurait pas pu s’offrir sans son réseau et son palmarès actuels. Et donc sans Olivier de Coulon.

«Pour percer sur le circuit, il y a autant de méthodes que de cavaliers. Il faut bosser dur, être imaginatif»

ALBAN POUDRET, RÉDACTEUR EN CHEF DU «CAVALIER ROMAND»

Pour progresser et intégrer le circuit, les jeunes cavaliers de talent ont besoin de sponsors et de propriétai­res prêts à leur faire confiance. Etre issu d’une famille qui possède un centre équestre et des chevaux capables de bons résultats chez les juniors ne suffit plus à un certain niveau, confie Bryan Balsiger. «C’est un sport qui demande beaucoup de moyens. Mes parents, qui sont mes premiers sponsors, m’ont permis de lancer ma carrière, mais le haut niveau, c’est une étape supplément­aire. En Suisse, on a la chance de pouvoir compter sur des propriétai­res et c’est grâce à eux que nous avons une telle équipe de Suisse aujourd’hui», appuie le Neuchâtelo­is, installé dans le club-house du centre équestre.

Non loin, des parents regardent leurs enfants prendre un cours dans le manège en contrebas. Combien de ces adolescent­s rêvent de disputer des Jeux olympiques? Combien s’arrêteront avant, faute de moyens?

«Nous n’avons pas en Suisse un élevage suffisant pour former et pousser les jeunes cavaliers au meilleur niveau, au contraire de l’Irlande, par exemple, où les marchands s’appuient sur la jeune génération, qui progresse donc très vite. En revanche, la Suisse compte de nombreux mécènes, qui accordent leur confiance aux jeunes plus facilement que par le passé, comme Arturo Fasana avec Edouard Schmitz ou Olivier de Coulon à l’époque avec Bryan», explique Alban Poudret, directeur sportif du CHI de Genève et rédacteur en chef du Cavalier romand, pour qui il n’existe «pas de formule magique», mais plusieurs voies pour percer sur le circuit.

«Il y a autant de méthodes que de cavaliers. Il faut bosser dur, être imaginatif et ne pas avoir peur, en cas d’envie, de partir à l’étranger. Je crois qu’il existe des solutions et notre équipe nationale le prouve: on nous envie autant nos deux superstars Steve Guerdat et Martin Fuchs que la relève. Chez les Français, par exemple, en proportion, il y a moins de jeunes qui arrivent et sont promus. On leur donne aussi peut-être moins leur chance.»

Sur les hauteurs de Corcelles, un soleil de fin de journée caresse les prés qui bordent les installati­ons. Les chevaux y reprendron­t leurs quartiers ces prochains jours – avec vue sur le lac. «Nous avons une chance inouïe, se réjouit Bryan Balsiger.

On peut faire de longues séances de trotting [des séances de trot, souvent en fractionné, en extérieur, ndlr] en forêt, ce qui est bénéfique autant à leur forme physique qu’à leur mental. On fait tout pour que les chevaux restent des animaux, qu’ils sortent au maximum. Ça leur permet aussi de garder leur motivation pour le saut.»

Bien qu’il soit désormais libre d’organiser le planning de ses montures comme il l’entend, le jeune homme n’en demeure pas moins dépendant de propriétai­res. La valeur des chevaux de Grand Prix est telle – des centaines de milliers, voire plusieurs millions, de francs – qu’il est impossible pour les cavaliers d’acquérir des cracks «prêts à l’emploi». La solution consiste à acheter de jeunes montures de 4, 5 et 6 ans, lorsqu’elles ne valent encore que quelques dizaines de milliers de francs, puis de les former de A à Z dans l’espoir que leur faire atteindre le plus haut niveau. «On fait toute la partie apprentiss­age, formation et progressio­n, ça prend du temps, mais si on y arrive, la victoire est encore plus belle», assure Bryan Balsiger, qui partage notamment la propriété d’une jument de 7 ans avec Steve Guerdat.

Ce travail sur plusieurs niveaux (court, moyen et long terme) exige un piquet de chevaux suffisamme­nt fourni pour continuer d’obtenir des résultats avec des chevaux de pointe tout en formant la relève. Et de ne pas compter ses heures: le Neuchâtelo­is passe six heures par jour à cheval, sur six montures différente­s.

Faire le premier pas

«C’est un sport où les carrières sont plus longues qu’ailleurs. J’essaie donc de voir loin, avec plusieurs jeunes chevaux en qui je crois»

BRYAN BALSIGER

Dans ce contexte, constituer une écurie est un véritable exercice. «Je suis un cavalier assez timide, sourit Bryan Balsiger. Je ne vais jamais démarcher des chevaux qui ont déjà des cavaliers, même si certains, dont je tairais le nom, le font. Si un cheval me plaît, je peux aller en parler, mais je ne veux pas prendre la place de quelqu’un d’autre.»

Hasard du mercato équestre, trois nouveaux chevaux viennent d’arriver au Cudret: le hongre de 10 ans Erico Hoy, l’étalon Castiel, 10 ans aussi, et la jument suisse Christina, 11 ans. Propriétés de la famille Schreier, ils sont passés récemment sous la selle de… Pius Schwizer. Les deux hommes se croisent désormais sur les terrains de concours avec leurs anciennes montures respective­s et pourraient même défendre ensemble les couleurs de la Suisse en Coupe des nations. «Il y a un côté émotionnel, c’est sûr. Mais les grands champions savent gérer leurs émotions. Dans le cas de Bryan et Pius, c’est plutôt gérable dans le sens où Bryan avait déjà quitté Olivier de Coulon quand Pius est arrivé», conclut Alban Poudret.

Sur le papier, tout oppose, ou presque, le jeune Romand à l’allure timide, réputé pour son «feeling fantastiqu­e avec les chevaux», et le Lucernois de 62 ans, également marchand de chevaux, connu pour son franc-parler. Tout les oppose ou presque, car les deux hommes ont les épaules solides et la même envie de gagner. ■

 ?? (CORCELLES, 31 JANVIER 2024/GUILLAUME PERRET POUR LE TEMPS) ?? A 27 ans, Bryan Balsiger travaille et peaufine désormais sa nouvelle cavalerie, constituée de 12 chevaux, dans l’écurie familiale située sur le littoral neuchâtelo­is.
(CORCELLES, 31 JANVIER 2024/GUILLAUME PERRET POUR LE TEMPS) A 27 ans, Bryan Balsiger travaille et peaufine désormais sa nouvelle cavalerie, constituée de 12 chevaux, dans l’écurie familiale située sur le littoral neuchâtelo­is.

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