Que sait-on des «nouveaux OGM» qui pourraient bientôt arriver en Europe?
Le Parlement européen doit voter la semaine prochaine une nouvelle réglementation concernant les plantes modifiées par les nouvelles techniques génomiques. Un enjeu majeur, y compris pour la Suisse. Le point sur ces organismes
Ce ne sont que trois lettres, mais elles génèrent des débats explosifs. Les végétaux NGT, issus des «nouvelles techniques génomiques», bénéficieront peut-être d’une réglementation assouplie par rapport à leurs ancêtres OGM, leur permettant d’être considérés comme des plantes ordinaires, tout en étant plus résistantes aux maladies ou encore plus résilientes face au changement climatique.
La décision reviendra au Parlement européen lors de sa session plénière du 5 au 8 février. Au-delà du caractère technique, le débat porte aussi sur l’accès à ces innovations, avec la question des brevets des semences, ainsi que leur impact économique, environnemental et sociopolitique. En attendant, que sait-on de ces NGT? Pourra-t-on en trouver prochainement dans nos assiettes? Explications:
«Lors d’un croisement naturel, des milliers, voire des millions, de mutations apparaissent de manière non ciblée, et on ne s’en inquiète pas»
DANIEL CROLL, LABORATOIRE DE GÉNÉTIQUE ÉVOLUTIVE DE L’UNIVERSITÉ DE NEUCHÂTEL
C’est quoi un plant NGT?
Il s’agit d’un végétal modifié à l’aide de l’une des nombreuses techniques de génie génétique apparues depuis 2001, au premier rang desquelles Crispr-Cas9, appelée aussi «ciseaux moléculaires». Jusque-là, la fabrication des OGM traditionnels reposait sur l’insertion d’un gène d’une autre espèce (transgénèse), afin de conférer aux variétés une nouvelle propriété, comme un maïs capable de produire un insecticide codé par un gène présent dans une bactérie. Dans le cas des NGT, il est possible de modifier l’ADN à l’échelle du nucléotide, par la méthode dite «de mutagénèse dirigée», ou d’intégrer du matériel génétique provenant de la même espèce (cisgénèse) ou d’une espèce avec laquelle la plante pourrait naturellement se croiser. De «nouveaux OGM» sont déjà sur le marché, comme une banane qui ne brunit pas aux Philippines.
Que propose la Commission européenne?
Bruxelles veut distinguer deux types de végétaux NGT. Seuls ceux dépassant un certain seuil de modifications génétiques – le nombre exact fait débat –, appelés les NGT2, seront considérés comme des OGM avec pour conséquence de longues procédures d’autorisation, une évaluation des risques pour l’environnement et la santé, une surveillance et une traçabilité renforcées.
Au contraire, un plant NGT passant sous la limite choisie serait considéré comme «équivalent» à un végétal conventionnel (mais pas «bio»), sans restriction ou contrôle supplémentaire. Seules les graines seraient spécialement étiquetées, pas les aliments finaux. C’est cette catégorie, les NGT1, qui concentre toutes les critiques.
Pourquoi ces techniques sont-elles si plébiscitées?
En deux mots, pour leur rapidité et leur précision. Les NGT offrent «une accélération assez incroyable du processus de sélection», explique Daniel Croll, directeur du laboratoire de génétique évolutive à l’Université de Neuchâtel. Alors que la commercialisation de graines obtenues par croisement naturel nécessite plus d’une décennie, ce temps est réduit à deuxtrois ans avec les NGT.
A condition, toutefois, d’avoir déjà identifié le gène d’intérêt et son interaction avec d’autres, et ce travail de recherche fondamentale peut prendre du temps. «J’ai des collègues à Montpellier qui ont réussi à conférer à une tomate une résistance à un virus à partir de connaissances acquises chez un piment… Cela fait trente ans qu’ils travaillent là-dessus», indique Pierre Barret, ingénieur de recherche au sein de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae).
La précision est aussi bluffante, ajoute-t-il: «Si un nucléotide était une lettre de l’alphabet, un génome de blé serait l’équivalent de 6500 fois la Belle du Seigneur de Cohen. Et on est capable de modifier une seule lettre.» Le procédé n’est cependant pas infaillible: des mutations peuvent subvenir ailleurs. «Dans la littérature scientifique, il n’y a pour l’instant pas de consensus sur la survenue de modifications de l’ADN en dehors du site cible», tempère Pierre Barret.
Pourra-t-on les différencier des autres plantes?
On touche là à un enjeu majeur. Car, pour l’instant, il n’existe aucun moyen de dire si un grain de maïs trouvé dans un silo est un NGT. Avec quelle séquence génétique devrait-on le comparer pour le dire? De plus, «comment savoir lors du séquençage si les modifications sont issues de NGT, ou simplement de croisements naturels, puisque le matériel génétique est issu de la même espèce ou d’espèces similaires?, s’interroge Daniel Croll. Honnêtement, ce sera très difficile.» Le chercheur travaille justement à améliorer les techniques de traçabilité déjà existantes.
Dans tous les cas, «on ne peut pas éviter les contaminations dans les champs ni dans les filières de stockage et de transformation», rappelle Luigi D’Andrea, de l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (ASGG).
Y a-t-il des risques pour la santé?
A ce stade, impossible de le savoir. De l’avis de Daniel Croll, de Neuchâtel, s’il y avait d’éventuelles conséquences néfastes des techniques NGT sur les végétaux (et donc potentiellement chez l’homme), les scientifiques les auraient déjà relevées en laboratoire. Il ajoute: «Lors du croisement naturel de deux plantes, des milliers, voire des millions, de mutations apparaissent de manière non ciblée, et on ne s’en inquiète pas.»
Pierre Barret, de l’Inrae, souligne néanmoins qu’il est impossible d’avoir une compréhension exhaustive des effets des manipulations NGT. «Les interactions sont si complexes qu’il peut toujours arriver un imprévu.» L’ingénieur ajoute que le risque ne réside pas tant dans la technique que dans le caractère final obtenu. A l’Office fédéral de l’environnement (OFEV), on indique s’attacher principalement à l’évaluation des risques possibles pour l’environnement des OGM, obligation qui découle du fait de recourir au génie génétique, peu importe qu’il s’agisse de transgénèse ou du Crispr-Cas.
De son côté, l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (ASGG), par la voix de Luigi D’Andrea, s’inquiète de l’absence d’études d’évaluation des risques sanitaires des organismes modifiés avec des NGT. «Nous allons modifier en profondeur des organismes vivants, sans évaluation des risques. Cela va à l’encontre du principe de précaution.»
Y aura-t-il des produits NGT dans nos assiettes?
En Suisse, des végétaux NGT comme des blés sont au stade de recherche en laboratoire. «Le Conseil fédéral considère que les NGT sont techniquement et juridiquement du génie génétique, et donc les plants qui en sont issus, des OGM», indique Christoph Lüthi, de l’OFEV. Le pays prépare sa propre réglementation en la matière, avec un système d’homologation fondé sur les risques.
Les personnes qui suivent le dossier s’accordent néanmoins sur le fait que la Suisse s’alignera probablement sur les positions du géant européen, pour ne pas faire cavalier seul. La proposition est attendue pour la mi-2025, six mois avant la fin du moratoire sur les cultures d’OGM. «D’ici là, le Conseil fédéral devra préciser les options pour l’après-moratoire», indique Sylvain Aubry, de l’Office fédéral de l’agriculture. Une lignée de soja et trois lignées de maïs OGM sont déjà autorisées dans les denrées, et précisées sur l’étiquette si elles excèdent 0,9% du poids du produit. Une règle qui se compliquera sensiblement avec les variétés NGT, en raison des problèmes de traçabilité qu’elles posent.
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