«Plutôt que de déprogrammer, il vaut mieux contextualiser»
Deux jeunes cinéastes romands s’expriment sur la question de la diffusion des films dans lesquels joue Gérard Depardieu
Hervé Ossent, 25 ans, étudiant en 3e année de bachelor cinéma à l’ECAL (Ecole cantonale d’art de Lausanne)
«Si j’arrive à comprendre les gens qui veulent qu’on arrête de regarder des films avec Depardieu, je trouve pour ma part problématique de les censurer, car j’ai du mal avec l’idée de réduire un film à une seule personne, même si elle en est la star. Cela revient en effet à nier le travail du reste du casting et des équipes techniques. La complexité consiste à savoir comment rendre hommage au travail collectif qui a été fourni sans glorifier un artiste qui est condamné ou accusé. Si ça peut être compliqué de regarder quelqu’un qui serait un violeur ou un monstre et d’admirer sa prestation, j’arrive personnellement à faire la distinction, à me dire que la personne que je vois à l’image, c’est un personnage. Ce qui est à mon sens vraiment problématique, plutôt que de regarder des films avec Depardieu, c’est de se dire que beaucoup de monde a continué à travailler avec lui en toute connaissance de cause.»
Malika Pellicioli, 35 ans, réalisatrice diplômée de l’ECAL
«Je trouve cohérent le choix de France Télévisions de suspendre en partie la diffusion des films avec Depardieu, car on ne peut pas jouer sur les deux tableaux. On ne peut pas faire un carton d’audience avec une émission à charge contre lui et programmer Les Valseuses. Par contre, je trouve délicat de faire la morale. Le choix de la RTS de ne plus diffuser des films avec Depardieu pénalise notamment les gens de l’ombre et prive les cinéastes, producteurs et scénaristes de droits d’auteur. Mais je comprends que le voir à l’écran doit être douloureux pour toutes les victimes anonymes de violence, qui sont innombrables dans notre société! Et on peut se passer de Cyrano le temps des Fêtes… Je ne suis toutefois pas pour la déprogrammation, car il ne faut pas infantiliser les gens et que l’histoire du cinéma est faite d’une multitude de films exceptionnels. Au contraire, plutôt que de déprogrammer, il vaut mieux expliquer et contextualiser. Prenez les récentes accusations à l’encontre du réalisateur et acteur Samuel Theis. Faut-il interdire Anatomie d’une chute, le film de Justine Triet dans lequel il joue, et qui a été tourné avant? Cela serait le comble que ce soit encore une femme qui paie pour le comportement d’un homme, et je suis ravie du pied de nez qu’elle leur fait avec sa nomination à l’Oscar de la meilleure réalisation.»
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