Le cinéma musical de Christophe Honoré en dix morceaux
«Pretty Killer», d’Alex Beaupain
Pour Christophe Honoré, la musique n’est pas qu’un habillage. Elle permet de surligner les émotions, voire parfois de les contredire, dans une sorte de mise à nu des personnages. Son premier long métrage, 17 fois Cécile Cassard
(2002), marque aussi sa première collaboration avec Alex Beaupain, qui deviendra son compositeur fétiche. Interprétée par Lily Margot, Pretty Killer est une lancinante ballade rock qui sublime une sensuelle danse réunissant Béatrice Dalle, Romain Duris et Julien Collet.
«Hymn to Love», de Cyndi Lauper
Sulfureuse adaptation d’un roman de Georges Bataille, Ma mère (2004) évoque une relation incestueuse sur fond de pratiques sadomasos. Lorsque le jeune fils incarné par Louis Garrel court perdu sous la pluie en pensant à sa mère (Isabelle Huppert), Christophe Honoré ajoute du trouble et des niveaux de lecture à ce qu’on vient de voir en utilisant une reprise anglaise de l’Hymne à l’amour d’Edith Piaf par Cyndi Lauper. La musique pour accélérer la catharsis.
«Cambodia», de Kim Wilde
Romain Duris en caleçon sur son lit en train d’écouter en vinyle le tube Cambodia de Kim Wilde, qu’il chante en yaourt pour se souvenir de son adolescence et oublier qu’il a dû retourner vivre chez son père (Guy Marchand) pour surmonter une douloureuse séparation. Cette séquence de Dans Paris (2006) est un des multiples exemples d’une utilisation diégétique de la musique par Christophe Honoré, c’est-à-dire d’une musique faisant partie intégrante du récit, et non pas uniquement entendue par les spectateurs et spectatrices.
«Au parc», d’Alex Beaupain
Lors de sa première rencontre avec Chiara Mastroianni, Christophe Honoré lui a parlé de musique et de sa douce voix, testée auprès de Benjamin Biolay, et non de cinéma. Il lui a confié un rôle secondaire dans sa comédie musicale Les Chansons d’amour (2007), et de cette première collaboration est né un des plus beaux compagnonnages du cinéma français récent. Au parc est un air mineur des Chansons d’amour, mais susurré en solo par Chiara Mastroianni, il va droit au coeur car il est le témoin d’un premier rendez-vous.
«Elle était si jolie», d’Alain Barrière
Christophe Honoré puise autant dans la chanson française que dans le rock anglo-saxon pour accompagner le parcours émotionnel de ses personnages. Dans La Belle Personne (2008), adaptation libre de La Princesse de Clèves, lorsque la patronne du Café Sully introduit une pièce dans un vieux jukebox, elle dit à Léa Seydoux: «Je te préviens, c’est pas d’aujourd’hui.» On entend alors Elle était si jolie, écrit par Alain Barrière en 1963 pour le Concours Eurovision de la chanson 1963. Le cinéaste filme le visage mélancolique de son actrice… Bouleversant.
«Prélude op. 28 no 4», de Frédéric Chopin
Film majeur du duo Honoré-Mastroianni, Non ma fille tu n’iras pas danser (2009) propose en son centre une stupéfiante séquence explicitant à travers une légende bretonne l’envie de liberté du personnage de Léna. Si le récit utilise magnifiquement des morceaux de XTC (Making Plans For Nigel) et Anohni and the Johnsons (Another World), il fait aussi d’un Prélude de Chopin un air récurrent. Christophe Honoré recourt parfois au classique, et cette pièce évoque ici en sous-texte son utilisation par Gainsbourg dans le beau Jane B offert à sa muse.
«Une Fille légère», d’Alex Beaupain
Après un rôle secondaire dans Les Chansons d’amour, Chiara Mastroianni est au coeur des Bien-aimés (2011), nouvelle comédie musicale portée par les compositions souvent très pop d’Alex Beaupain. Toujours prompt à interroger les liens entre la fiction et le réel, Christophe Honoré a confié le rôle de la mère du personnage qu’elle incarne à… Catherine Deneuve. La séquence qui voit mère et fille entonner à deux voix Une Fille légère est d’une simplicité désarmante tout en étant, de par sa symbolique, un immense moment de cinéma.
«I Wear Your Ring», de Cocteau Twins
Plaire, aimer et courir vite (2018) est avec Dans Paris et Le Lycéen un des films les plus personnels de Christophe Honoré, qui y raconte l’éducation sentimentale d’un jeune étudiant breton tombant amoureux d’un écrivain parisien plus âgé. La bande-son est en partie celle d’une époque, le début des années 1990, avec des groupes comme Massive Attack, Ride, The Sundays et Cardinal. Et aussi les Ecossais de Cocteau Twins, dont le lancinant et hypnotique I Wear Your Ring dit les vertiges de l’amour physique.
«Hier encore», de Charles Aznavour
La puissance du théâtre et la magie du cinéma réunies dans un film. Chambre 2012 (2019) raconte une nuit dans la vie d’une femme, une nuit durant laquelle elle va croiser les fantômes de son passé. Lorsque surgit une incarnation de sa volonté, ce personnage allégorique ressemble furieusement à Charles Aznavour, dont plusieurs morceaux rythment le récit. Notamment Hier encore, où il chante ceci: «J’ai fait tant de projets qui sont restés en l’air/J’ai fondé tant d’espoirs qui se sont envolés/Que je reste perdu ne sachant où aller.»
«Electricity», d’Orchestral Manoeuvres in the Dark
Utiliser un tube pop qui sert de marqueur temporel mais sur lequel tout le monde peut plaquer un souvenir tant il a traversé les époques. Christophe Honoré est très habile dans ce petit jeu consistant à user d’une musique immédiatement reconnaissable. Dans Le Lycéen, le
Electricity enregistré en 1979 par Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD) transcende la douleur du jeune Lucas (Paul Kircher), qui doit surmonter la disparition brutale de son père, comme jadis le cinéaste a lui-même dû le faire.
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