Slowdive, la vitalité retrouvée du shoegaze
Le groupe anglais est l’invité samedi du festival Antigel, tandis que ses contemporains de Ride s’apprêtent à publier leur nouvel album. Mouvement musical du début des années 1990, le shoegaze est désormais culte
Ce début d’année 2024 diffuse pour les nostalgiques du rock anglais des années 1990 de délicieux effluves de madeleine. A la fin mars sortira en effet le septième album de Ride, tandis que le festival Antigel accueille ce samedi à Genève Slowdive. Ne manquerait plus que se concrétise le retour – souvent annoncé, jamais confirmé – de My Bloody Valentine… Ces trois formations britanniques jadis signées par le label Creation Records (qui repérera plus tard Oasis) forment la sainte trinité du shoegaze, mouvement musical majeur qui semble plus vivant que jamais, et qui a notamment engendré ce qu’on appelle aujourd’hui la dream pop.
Lorsque Christophe Honoré évoque sa jeunesse dans «Plaire, aimer et courir vite», il utilise la musique de Ride
Marqueur temporel et générationnel
Rembobinons. Londres, fin des années 1980. Après une décennie de d’expérimentations post-punk, les clubs voient débarquer une armada de jeunes groupes ayant en commun un goût prononcé pour les nappes de guitares et les mélodies hypnotiques, loin de la traditionnelle équation couplet-refrain-couplet. Des groupes plus intellos que prolos, formés par des musiciens préférant regarder leurs pieds et leurs pédales à effets plutôt que de blaguer avec le public. Il n’en faudra pas plus pour que la presse spécialisée british, toujours prompte à dégainer un néologisme, parle de shoegaze, littéralement «le regard sur les chaussures».
Si on devait officiellement dater la naissance du shoegaze, on pourrait avancer la date du 21 novembre 1988, jour de sortie du premier album de My Bloody Valentine, Isn’t Anything. Mélodies éthérées, voix cotonneuse, guitares tendues, tout est là. Mais ce son parfois aussi qualifié de rock noisy n’a pas surgi de nulle part, ses racines remontent autant aux années 1960 et aux expérimentations du fantasque producteur Phil Spector, inventeur du «mur du son», qu’au psychédélisme de Pink Floyd la décennie suivante. Et quelques années avant l’irruption de My Bloody Valentine, dans le sillage de la pop planante de Cocteau Twins, un groupe comme The Jesus and Mary Chain posera également avec le fondateur Psychocandy (1985) les bases du genre.
En octobre 1990 sort Nowhere, premier album de Ride aujourd’hui encore inépuisable devient un véritable marqueur temporel et générationnel. Lorsque le Breton Christophe Honoré se penche via le prisme de la fiction sur sa jeunesse et ses premières années parisiennes, il utilise notamment dans Plaire, aimer et courir vite (2018) un extrait de ce disque majeur et vertigineux dans sa manière de superposer des couches mélodiques.
A l’instar de Ride, formé à Oxford, Slowdive voit le jour à l’est de Londres. C’est à Reading, en 1989, que Neil Halstead et Rachel Goswell décident de faire de la musique ensemble. Ils sont tous deux chanteurs et guitaristes et se connaissent depuis l’enfance. Le groupe prendra véritablement forme lorsque débarque un troisième guitariste, recruté par petite annonce, bientôt suivi d’un bassiste et d’un batteur. Le son s’affine et, là où Ride ajoute à ses nappes de guitares des sonorités acides, Slowdive préfère greffer des mélodies aériennes sublimées par des harmonies à deux voix.
Aura culte
Dans leur sillage, la famille shoegaze s’agrandira avec des formations comme Pale Saints, Chapterhouse, Lush, Swervedriver, Catherine Wheel, Moose ou Spiritualized. Mais l’avènement de la britpop (Blur, Oasis, Pulp, Suede, etc.) mettra rapidement un terme à son âge d’or. Après trois albums diversement accueillis – Just for a Day (1991), Souvlaki (1993) et le sous-estimé Pygmalion (1995) –, Slowdive se sépare au milieu des années 1990… Pour mieux revenir – tout comme Ride, qui fit de même long feu – en 2014. Fréquemment cités comme des références ultimes par de jeunes musiciens se réclamant du shoegaze (voir la playlist Shoegaze Now, sur Spotify, pour vérifier la vitalité retrouvée du genre), les hérauts de ce mouvement jadis marginal sont désormais entourés d’une aura culte.
Dans la foulée de deux albums brillants (Slowdive, 2017; Everything is Alive, 2023), Slowdive est aujourd’hui salué comme il aurait dû l’être au début des années 1990, en témoigne une tournée qui affiche en grande partie complet, et qui passe donc par Genève ce week-end. Quant aux Oxfordiens de Ride, après deux nouveaux albums poussifs en 2017 (Weather Diaries) et 2019 (This is Not a Safe Place), ils pourraient remettre les pendules à l’heure avec leur septième enregistrement, Interplay, qui est précédé de rumeurs flatteuses. Reste le mystère My Bloody Valentine, bateau ivre laissé entre les mains du torturé et perfectionniste Kevin Shields, qui vit reclus dans sa maison studio en Irlande. A la faveur de la réédition du catalogue de son groupe, il nous annonçait en 2021 la sortie imminente de deux nouveaux albums, avant une nouvelle tournée… On a envie d’y croire encore. ■
Slowdive en concert, L’Alhambra, Genève, sa 3 février à 19h30 dans le cadre du festival Antigel, avec Pale Blue Eyes en première partie.