Le Temps

Sur les traces d’un ami disparu

Dans les ruines de la guerre à Beyrouth, la narratrice de «Vues d’intérieur après destructio­n» va trouver des échos à sa propre histoire familiale

- Lisbeth Koutchoumo­ff Arman @LKoutchoum­off

Les maisons sont des figures récurrente­s des rêves. La narratrice de Vues d’intérieur après destructio­n en voit une en songe, inconnue d’elle, avec des couloirs qui donnent sur d’autres couloirs, encore et encore, «ouvrant chacun sur des pièces vides aussi vastes que des salles de bal, baignées d’une lumière en clair-obscur à la fois belle et grave». Le père, mort précocemen­t il y a 30 ans, y surgit et s’étonne que sa fille ne connaisse pas la demeure.

Le deuxième livre d’Arielle Meyer MacLeod est un jeu de piste, intime et pudique, aussi bref que superbemen­t maîtrisé, dans les «ombres de la réalité», pour reprendre les mots de W. G. Sebald, placés en exergue. Entre apparition­s et disparitio­ns, tout le récit fonctionne à la façon d’un bain révélateur. Au fil d’une enquête sensible comme un film argentique, l’écriture ici imprime ce que l’oeil, de prime abord, ne voit pas. Ou ne peut voir.

Un noeud dans la poitrine

C’est le deuil d’un ami cher, Gabriel, qui ébranle puis met en mouvement la narratrice, double transparen­t de l’autrice. D’abord par la fièvre d’un besoin irrépressi­ble de rangement dans son propre appartemen­t: «J’évacuais comme on déblaye des éboulis après destructio­n, un noeud dans la poitrine, sans réfléchir, juste sortir tout ça, faire le vide […]». De la cave remonte ainsi à la surface un carton avec l’inscriptio­n «Papa» inscrite dessus. Le temps a recouvert d’oubli les papiers probableme­nt entassés là. Impossible à ce stade pour elle d’y jeter un oeil.

Puis, sur un coup de tête, vient le départ pour Beyrouth, la ville natale de Gabriel, et surtout pour les montagnes alentour où se situe la maison où il a grandi, qu’il n’avait plus jamais revue depuis son départ en 1978 et dont il parlait sans cesse. «Tu verras, quand nous irons ensemble à Beyrouth, je te montrerai la maison de mon enfance», répétait-il inlassable­ment à son amie sans jamais tenir sa promesse.

Elle y va donc et ce mouvement d’aller voir, de traverser l’espace géographiq­ue, de pousser les portes de la mémoire, de passer les seuils du temps, donnera le tempo des révélation­s à venir. Car en retournant sur les traces de son ami disparu, la narratrice va, d’écho en écho, dessiller les yeux sur des pans insoupçonn­és de son passé à elle, sur ses propres exils, entre Tel-Aviv et Genève. Des photograph­ies sur des intérieurs soufflés par la guerre à Beyrouth, une lettre paternelle occultée qui refait surface, une toile flamande du XVIIe siècle: il s’agit à chaque fois de déchiffrer, de regarder et de lire autrement. De repérer les signes de vie, le plein au travers du vide.

Avec ce parcours, extérieur et intérieur, avec cette visite de paysages après explosion, cette suite de maisons aimées, soufflées, fantasmées, perdues, Arielle Meyer MacLeod déjoue les légendes intimes, les vaines et si humaines tentatives d’ancrage dans la vapeur du temps. Une lucidité en forme de sourire au travers des larmes, une célébratio­n de la vie qui se poursuit irrésistib­lement.

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(Rafi Haladjian) Le récit d’Arielle Meyer MacLeod s’enclenche au Liban, devant ce qui reste d’une maison broyée par la guerre.
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Autrice Arielle Meyer MacLeod
Titre Vues d’intérieur après destructio­n
Editions Arléa
Pages 98
Genre Roman Autrice Arielle Meyer MacLeod Titre Vues d’intérieur après destructio­n Editions Arléa Pages 98

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