Trois femmes pour consoler Vincent Van Gogh
Après Cézanne et Berthe Morisot, Mika Biermann enchante trois instants de la vie du peintre néerlandais
Dans Trois Jours dans la vie de Paul Cézanne,
ce râleur s’irritait déjà contre le «martyr énervant qui peint en croûte comme son compatriote Rembrandt». C’est avec ce fou de Néerlandais que Mika Biermann complète son excitante collection de triptyques d’artistes. Après avoir enchanté Trois Nuits dans la vie de Berthe Morisot, il met Trois Femmes dans la vie de Vincent Van Gogh.
Avant de découvrir la liberté de l’écrivain – un crayon, un carnet –, Biermann a été peintre. Il connaît la matérialité encombrante du travail sur le motif, le lourd chevalet, les couleurs qui coulent. Les affres de ses trois artistes, il en parle avec la précision du professionnel. Et surtout, s’il fabule un peu leurs vies, il les ancre dans leur époque, par petites touches, énoncées en phrases brèves, flegmatiques, aux images audacieuses. Autour de ces créateurs perdus dans leur monde, il met «du peuple dans le peuple», avec ses odeurs, son langage, ses soucis.
Tout plaisir est danger
A Vincent le solitaire, Biermann offre trois versions de la féminité. Tout gamin, le fils de pasteur surprend Saskia au bain. La petite gardeuse d’oies, pas très jolie, pas très propre, est effrontée, joueuse, maternelle. Tourment et félicité: est-ce un péché mortel que de l’avoir vue nue? Tout plaisir est danger: Dieu a créé le monde en noir et blanc, lui a appris son père. C’est le diable qui y a mis des couleurs.
En 1887, à Paris, Agostina sert l’absinthe et écoute les délires du peintre qui fantasme d’Italie et l’encombre de croûtes invendables. Mais au lit, son désir est «comme un chiot qu’une main de fer a soulevé par la peau de la nuque et qui agite ses pattes». Elle patiente donc. La dernière femme est, comme la première, encore une enfant. Comme Saskia, Gabrielle porte un nom de modèle. Mais elle n’est pas belle non plus, déjà pugnace, teigneuse et pourtant pleine de compassion pour cet homme blessé. Il refuse son aide, elle s’en va sur son percheron. Il mourra peu après. «Il vaut mieux se faire du bon sang que de se suicider», écrivait-il pourtant à son frère Théo.
■ Isabelle Rüf