Facebook est devenu un monstre
Le réseau social était lancé le 4 février 2004 par Mark Zuckerberg. Aujourd’hui, il compte plus de 3 milliards d’utilisateurs réguliers. Malgré Instagram, TikTok ou YouTube, les recettes du début font toujours mouche, estiment deux experts
Ces jours-ci, Mark Zuckerberg doit être occupé à dessiner les plans de sa future résidence d’Hawaï. Le projet, devisé à 250 millions de francs, comprendra une trentaine de chambres, s’étalera sur 5000 m² et comprendra un bunker de près de 500 m². En cas de fin du monde, le fondateur de Facebook sera ainsi peut-être à l’abri. Il pourra alors tranquillement deviser sur l’empire qu’il a créé.
Fondé il y a vingt ans, Facebook est devenu un monstre. C’est la popularité fulgurante de ce réseau social qui a permis à Mark Zuckerberg de bâtir son empire. Un chiffre: chaque mois, les services du groupe Meta – que ce soit via Instagram, WhatsApp ou Facebook – sont utilisés par 3,98 milliards de personnes. Soit la moitié de la population terrestre.
Tout n’est pas à jeter dans Facebook. Le réseau est, pour de nombreuses personnes, un endroit où se retrouver, où échanger avec ses amis proches ou lointains, où se tenir informé de ce qui se passe dans sa communauté. Une sorte de place du village virtuelle rassurante.
Mais ne nous laissons pas endormir par ces apparences. Facebook a été l’un des premiers réseaux sociaux à récolter de manière industrielle, dans l’opacité la plus totale, des données sur ses utilisateurs. N’oublions pas que même lorsque l’on navigue hors de l’application, Facebook trace notre comportement en ligne.
Le réseau a aussi popularisé de sombres pratiques comme ces boutons addictifs que sont les likes, le défilement infini ou les bulles de filtres. Tous les autres réseaux sociaux se sont inspirés de ces outils qui fonctionnent si bien. Et qui n’ont qu’un seul but: manger un maximum de temps d’attention aux utilisateurs et leur voler un nombre considérable de minutes durant leur journée.
Bien sûr, il y a pire. On l’a récemment vu avec TikTok et Instagram, accusés la semaine passée à Washington des pires pratiques envers les adolescents, exploitant leurs faiblesses avec, parfois, des issues fatales pour leurs jeunes utilisateurs. Facebook, «réseau de vieux», ne fait plus la une pour ces raisons.
Mais le premier réseau social de Mark Zuckerberg reste néanmoins une extraordinaire machine à addiction. Ni l’autorégulation ni les vagues tentatives de réglementation ne changeront cet état de fait. Car c’est bien le modèle d’affaires de base de Facebook qui est à l’origine de toutes ces pratiques si nocives.
Il en va donc bien de notre responsabilité individuelle de consommer avec une extrême modération et prudence Facebook et tous les autres monstres qui tentent de nous attirer à eux.
Le réseau a popularisé de sombres pratiques
Mark Zuckerberg a-t-il créé Facemash, devenu The Facebook, pour draguer les filles de Harvard? C’est fort possible, même si l’intéressé l’avait démenti en 2010, lors de la sortie du film The Social Network. Une chose est certaine: vingt ans après ses débuts – Facebook était mis en ligne le 4 février 2004 par cet étudiant de tout juste 19 ans –, le réseau social est devenu un monstre. Une hydre capable de siphonner une masse titanesque de données de ses utilisateurs. Mais aussi un titan qui ne cesse de croître.
Pouvoir d’attraction
Combien de fois Facebook a-t-il été donné pour mort, ou même sur le déclin? Or le réseau social continue de s’étendre. Observons les derniers chiffres publiés jeudi par Meta, maison mère de la plateforme, mais aussi Instagram et WhatsApp. Aujourd’hui, Facebook compte 3,065 milliards d’utilisateurs mensuels – au moins une connexion par mois – et même 2,11 milliards qui le consultent au moins une fois par jour. Trimestre après trimestre, ces chiffres n’ont cessé d’augmenter ces dernières années.
En Suisse aussi, Facebook est un géant: 1,6 million d’utilisateurs quotidiens, et 2,8 millions d’utilisateurs au total, selon la récente étude Digimonitor.
Bien sûr, Instagram et TikTok sont eux aussi entrés avec fracas sur le marché du «temps d’attention», mangeant de précieuses minutes de temps d’écran à Facebook. En Suisse, Instagram, avec 2,9 millions d’utilisateurs au total, a dépassé Facebook. Mais ce concurrent – de la même société – n’ébranle pas le réseau historique. Cette semaine, un sondage mené par le Pew Research Center indiquait que, parmi les Américains de 18 à 29 ans, 93% utilisent YouTube, 78% Instagram, 67% Facebook et 62% TikTok.
Comment expliquer cet immense pouvoir d’attraction de Facebook? «Parce que les liens sociaux existent déjà, qu’ils ont été créés en nombre il y a une dizaine d’années, à la grande époque de Facebook. Les plus de 35 ans sont moins attirés par la nouveauté, ils sont naturellement plus conservateurs avec l’âge; ce qu’ils veulent, c’est que leurs publications trouvent une audience, ils veulent une communauté réceptive et active, ça ne les intéresse pas de la recréer ailleurs», estime Blaise Reymondin, spécialiste en marketing Google au sein de la société Blaise & Bruno, basée à Pully (VD).
«Plus grand intérêt à le consulter»
Du côté des jeunes, l’histoire est différente. «Les moins de 35 ans ont peu à peu délaissé Facebook. Pour notre génération (millennials et Gen Z), ce réseau social est davantage vu comme le réseau social de nos parents, et nous ne trouvons plus grand intérêt à le consulter aussi régulièrement qu’auparavant, car nos habitudes en matière de réseaux sociaux ont évolué», note Léanne Dejeu. La consultante en communication à Lausanne apporte immédiatement une nuance: «Bien que l’application Facebook soit progressivement délaissée par les jeunes, elle reste très utilisée via l’app Messenger. Ainsi, Facebook est davantage utilisé pour les échanges de messages privés. Cela reflète une différence significative dans les habitudes de consommation des réseaux sociaux des jeunes générations, où les échanges personnels et la mise en avant de soi sont moins courants qu’au moment du lancement de Facebook.»
Microévolutions
Plus modernes, TikTok et Instagram auraient dû enterrer Facebook. Mais ce n’est pas le cas. «Ces réseaux ont un fonctionnement peut-être trop rapides pour les plus âgés, l’équivalent d’une consommation fast-food des médias, qui propose une déferlante d’images et de vidéos. Les aînés préfèrent les échanges plus slow food qu’on trouve sur Facebook, avec ses publications simples composées d’un texte, d’un lien ou d’une image», estime Blaise Reymondin.
Et même après vingt ans d’existence, Facebook a finalement peu évolué: bien sûr, il y a eu l’apparition rapide des likes, du défilement infini, des reels (mini-clips) ou de marketplace (plateforme de vente). Mais c’est tout. «C’est vrai, il y a une certaine stagnation en termes d’innovation côté Facebook ces dernières années. Cela s’explique notamment par la bataille entre TikTok et Instagram: les deux applications tendent à se ressembler de plus en plus pour retenir leurs utilisateurs», constate Léanne Dejeu. «On sent bien que les priorités sont partout ailleurs chez Meta: l’intelligence artificielle, le metaverse, Instagram, Threads [concurrent de X, ndlr], etc. Mais c’est sans doute cette stabilité qui plaît aux utilisateurs «seniors»; ils ne sont pas déboussolés comme ils le seraient sur les autres plateformes qui connaissent des changements fréquents», complète Blaise Reymondin.
Havre de stabilité, Facebook est aussi une extraordinaire source de revenu pour Meta. En moyenne, chaque utilisateur lui a rapporté 13,12 dollars sur le dernier trimestre. Et ce sont très clairement les utilisateurs européens (23,14 dollars) et nord-américains (68,44 dollars) qui sont les plus rentables. Dans de telles conditions, pourquoi changer une recette qui rapporte tant? ■