Le premier SPAC suisse a trouvé sa pépite
Le groupe industriel bâlois R & S est entré en bourse mi-décembre, après avoir été acquis par une coquille vide déjà cotée. L’un des promoteurs de cette opération «made in Switzerland» explique ses espérances pour l’avenir de l’entreprise
Le 13 décembre, une entreprise a pour la première fois été introduite à la bourse de Zurich via un SPAC. R&S Group, un fabricant bâlois de transformateurs électriques, avait été repris par une de ces coquilles vides cotées en bourse, dont le seul but est justement d’amener une entreprise vers une cotation. Cette opération a été réalisée alors que la fièvre des SPAC est retombée depuis longtemps à Wall Street, où elle avait conduit aux excès dont la finance est coutumière. Comment ce premier SPAC «made in Switzerland» a-t-il été lancé? Qu’espèrent en retirer ses promoteurs et investisseurs? Retour sur une innovation financière restée rare en Suisse.
«L’objectif était de trouver un champion caché et de l’amener à la bourse suisse, nous avons levé 200 millions via un SPAC pour cela, car ces structures offrent une option intéressante pour aller en bourse», résume Gregor Greber, le financier lucernois à l’origine de VT5 Acquisition Company, le premier – et unique à ce jour – SPAC suisse. Les investisseurs sont des acteurs suisses intéressés par le long terme, précise le quinquagénaire, qui affiche un parcours de banquier puis d’entrepreneur: des caisses de pension, des fonds mutuels, gérants de fortune, «family offices» et des individus fortunés.
Copropriétaire, pas activiste
Autorisées en Suisse depuis le 6 décembre 2021, ces «sociétés d’acquisition à vocation spécifique» permettent d’accéder à la bourse plus rapidement qu’à travers une IPO classique. L’entreprise visée – on parle de cible – négocie uniquement avec la direction du SPAC, au lieu de devoir multiplier les présentations auprès de potentiels investisseurs. Une fois qu’un accord est trouvé entre vendeur et acheteur, il suffit de l’aval des actionnaires du SPAC pour que la transaction soit effectuée. Enfin, celle-ci se déroule au prix convenu, alors que la valorisation d’une entreprise peut s’écarter des estimations lors d’une introduction en bourse.
Autre avantage, «un SPAC permet de devenir copropriétaire de la cible, il est donc plus facile de travailler ensemble sur son développement, alors qu’un investisseur extérieur doit convaincre la direction de changer, dans un combat qu’on ne gagne qu’avec de bons arguments souvent contre des conseils d’administration faibles», poursuit Gregor Greber, qui a notamment créé une société d’investissement activiste, Veraison Capital, à Zurich, quittée pour lancer ce SPAC. Les activistes cherchent à influencer la stratégie des sociétés dans lesquelles ils investissent.
Deux cents sociétés analysées
Les SPAC disposent de deux ans pour concrétiser une acquisition, faute de quoi l’argent collecté est rendu aux investisseurs et les promoteurs du SPAC – appelés sponsors – perdent leur mise personnelle. Ceux de VT5 ont ainsi collectivement apporté 7 millions de francs. Entré à la bourse de Zurich le 15 décembre 2021, leur SPAC a annoncé le 31 octobre 2023 avoir conclu un accord avec R & S Group, pour une acquisition au prix de 274 millions de francs. Cité dans la documentation de VT5, le consultant KPMG a valorisé R & S entre 400 millions et 448 millions de francs.
Avant d’en arriver à cette transaction, les dirigeants du SPAC ont analysé environ 200 sociétés, dont 50 avec lesquelles un accord de confidentialité a été signé, ce qui permet une analyse plus profonde. A la recherche de quoi? «D’une entreprise en croissance active dans la technologie, avec un cash-flow positif, de bons dirigeants, un bon modèle d’affaires, une longue tradition, des actionnaires de qualité et un avenir à long terme, précise Gregor Greber. Nous avons commencé les négociations en parlant de la façon dont on allait combiner ces ingrédients pour amener l’entreprise à la bourse.»
Amener qui, finalement? R&S est un groupe bâlois de 700 employés, qui fabrique des équipements entrant dans des infrastructures électriques, comme des transformateurs. Remontant à 1919, la société compte six usines en Suisse, Italie, Pologne et au Moyen-Orient, avec une orientation B2B et un chiffre d’affaires de 216 millions de francs en 2023. On trouve parmi ses clients GeniLac, le réseau hydrothermique qui utilise l’eau du Léman pour chauffer ou refroidir des bâtiments, le CERN ou Tesla.
Ses vecteurs de croissance sont la décentralisation de la distribution d’électricité, la décarbonisation de l’économie, le remplacement des réseaux existants et l’urbanisation. Contrairement aux grands groupes industriels présents dans ce secteur, R & S ne mène pas de projets de grande envergure comme la construction de centrales électriques; le groupe se contente de fournir des éléments pour ces projets, tout comme Geberit fournit des installations sanitaires sans avoir besoin de bâtir des immeubles.
Qu’est-ce qui va changer, avec le nouveau propriétaire? «Nous allons continuer à faire la même chose, en étant peutêtre plus focalisés, pour passer d’une petite à une moyenne capitalisation, et en contribuant à l’avenir de R&S en tant qu’entreprise boursière transparente avec l’équipe de direction qui a déjà obtenu de bons résultats», résume Gregor Greber, par ailleurs administrateur de la marque de sous-vêtements Calida et du fabricant de distributeurs automatique de nourriture Invenda. Les objectifs pour la direction de R & S, qui est restée en place, pointent vers une croissance du chiffre d’affaires de 8 à 10% en 2024 puis de 10% à moyen terme, avec une marge opérationnelle de 15% et des dividendes représentant 50% du cash-flow libre.
Le conseil d’administration a été largement renouvelé, pour accueillir, outre notre interlocuteur, une ancienne top manager de Siemens Suisse, et les anciens directeur général et directeur financier de VAT Group au moment où le fabricant de vannes à vide saint-gallois passait d’entreprise familiale à société cotée en bourse. Une expérience de référence pour le pilotage de R&S.
Le fonds de private equity reste actionnaire
Le «board» de la société bâloise a aussi accueilli l’un des dirigeants du fonds de private equity zurichois CGS Management, l’ancien propriétaire de l’entreprise. Qui a décidé de demeurer actionnaire après l’acquisition par VT5.
Majoritairement détenu par CGS pendant onzeans, R & S Group est passé d’une société suisse locale à un leader du marché avec une présence internationale forte en Europe et au MoyenOrient notamment, résume Rolf Lanz, l’un des patrons du fonds zurichois. Pourquoi avoir vendu fin 2023? «Cette cession et la cotation qui s’est ensuivie constituent la prochaine étape logique dans le développement de l’entreprise, avec un accès direct aux marchés de capitaux internationaux», détaille le financier.
Et pourquoi être resté actionnaire, alors que le fonds investit dans des sociétés non cotées? «Nous avons vendu la majorité de ses actions, ne gardant qu’une position minoritaire dans une société cotée, comme notre fonds a le droit de le faire; l’objectif est de profiter de la future croissance de l’entreprise.»Un potentiel auquel semblent croire les membres de la direction et du conseil d’administration de R&S, puisqu’ils ont collectivement investi 9,5 millions de francs lors de l’introduction en bourse de la société.
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«Un SPAC permet de devenir copropriétaire de la cible, il est donc plus facile de travailler ensemble sur son développement»
GREGOR GREBER, FINANCIER À L’ORIGINE DE VT5 ACQUISITION COMPANY