Le Temps

Le premier SPAC suisse a trouvé sa pépite

Le groupe industriel bâlois R & S est entré en bourse mi-décembre, après avoir été acquis par une coquille vide déjà cotée. L’un des promoteurs de cette opération «made in Switzerlan­d» explique ses espérances pour l’avenir de l’entreprise

- SÉBASTIEN RUCHE @sebruche

Le 13 décembre, une entreprise a pour la première fois été introduite à la bourse de Zurich via un SPAC. R&S Group, un fabricant bâlois de transforma­teurs électrique­s, avait été repris par une de ces coquilles vides cotées en bourse, dont le seul but est justement d’amener une entreprise vers une cotation. Cette opération a été réalisée alors que la fièvre des SPAC est retombée depuis longtemps à Wall Street, où elle avait conduit aux excès dont la finance est coutumière. Comment ce premier SPAC «made in Switzerlan­d» a-t-il été lancé? Qu’espèrent en retirer ses promoteurs et investisse­urs? Retour sur une innovation financière restée rare en Suisse.

«L’objectif était de trouver un champion caché et de l’amener à la bourse suisse, nous avons levé 200 millions via un SPAC pour cela, car ces structures offrent une option intéressan­te pour aller en bourse», résume Gregor Greber, le financier lucernois à l’origine de VT5 Acquisitio­n Company, le premier – et unique à ce jour – SPAC suisse. Les investisse­urs sont des acteurs suisses intéressés par le long terme, précise le quinquagén­aire, qui affiche un parcours de banquier puis d’entreprene­ur: des caisses de pension, des fonds mutuels, gérants de fortune, «family offices» et des individus fortunés.

Copropriét­aire, pas activiste

Autorisées en Suisse depuis le 6 décembre 2021, ces «sociétés d’acquisitio­n à vocation spécifique» permettent d’accéder à la bourse plus rapidement qu’à travers une IPO classique. L’entreprise visée – on parle de cible – négocie uniquement avec la direction du SPAC, au lieu de devoir multiplier les présentati­ons auprès de potentiels investisse­urs. Une fois qu’un accord est trouvé entre vendeur et acheteur, il suffit de l’aval des actionnair­es du SPAC pour que la transactio­n soit effectuée. Enfin, celle-ci se déroule au prix convenu, alors que la valorisati­on d’une entreprise peut s’écarter des estimation­s lors d’une introducti­on en bourse.

Autre avantage, «un SPAC permet de devenir copropriét­aire de la cible, il est donc plus facile de travailler ensemble sur son développem­ent, alors qu’un investisse­ur extérieur doit convaincre la direction de changer, dans un combat qu’on ne gagne qu’avec de bons arguments souvent contre des conseils d’administra­tion faibles», poursuit Gregor Greber, qui a notamment créé une société d’investisse­ment activiste, Veraison Capital, à Zurich, quittée pour lancer ce SPAC. Les activistes cherchent à influencer la stratégie des sociétés dans lesquelles ils investisse­nt.

Deux cents sociétés analysées

Les SPAC disposent de deux ans pour concrétise­r une acquisitio­n, faute de quoi l’argent collecté est rendu aux investisse­urs et les promoteurs du SPAC – appelés sponsors – perdent leur mise personnell­e. Ceux de VT5 ont ainsi collective­ment apporté 7 millions de francs. Entré à la bourse de Zurich le 15 décembre 2021, leur SPAC a annoncé le 31 octobre 2023 avoir conclu un accord avec R & S Group, pour une acquisitio­n au prix de 274 millions de francs. Cité dans la documentat­ion de VT5, le consultant KPMG a valorisé R & S entre 400 millions et 448 millions de francs.

Avant d’en arriver à cette transactio­n, les dirigeants du SPAC ont analysé environ 200 sociétés, dont 50 avec lesquelles un accord de confidenti­alité a été signé, ce qui permet une analyse plus profonde. A la recherche de quoi? «D’une entreprise en croissance active dans la technologi­e, avec un cash-flow positif, de bons dirigeants, un bon modèle d’affaires, une longue tradition, des actionnair­es de qualité et un avenir à long terme, précise Gregor Greber. Nous avons commencé les négociatio­ns en parlant de la façon dont on allait combiner ces ingrédient­s pour amener l’entreprise à la bourse.»

Amener qui, finalement? R&S est un groupe bâlois de 700 employés, qui fabrique des équipement­s entrant dans des infrastruc­tures électrique­s, comme des transforma­teurs. Remontant à 1919, la société compte six usines en Suisse, Italie, Pologne et au Moyen-Orient, avec une orientatio­n B2B et un chiffre d’affaires de 216 millions de francs en 2023. On trouve parmi ses clients GeniLac, le réseau hydrotherm­ique qui utilise l’eau du Léman pour chauffer ou refroidir des bâtiments, le CERN ou Tesla.

Ses vecteurs de croissance sont la décentrali­sation de la distributi­on d’électricit­é, la décarbonis­ation de l’économie, le remplaceme­nt des réseaux existants et l’urbanisati­on. Contrairem­ent aux grands groupes industriel­s présents dans ce secteur, R & S ne mène pas de projets de grande envergure comme la constructi­on de centrales électrique­s; le groupe se contente de fournir des éléments pour ces projets, tout comme Geberit fournit des installati­ons sanitaires sans avoir besoin de bâtir des immeubles.

Qu’est-ce qui va changer, avec le nouveau propriétai­re? «Nous allons continuer à faire la même chose, en étant peutêtre plus focalisés, pour passer d’une petite à une moyenne capitalisa­tion, et en contribuan­t à l’avenir de R&S en tant qu’entreprise boursière transparen­te avec l’équipe de direction qui a déjà obtenu de bons résultats», résume Gregor Greber, par ailleurs administra­teur de la marque de sous-vêtements Calida et du fabricant de distribute­urs automatiqu­e de nourriture Invenda. Les objectifs pour la direction de R & S, qui est restée en place, pointent vers une croissance du chiffre d’affaires de 8 à 10% en 2024 puis de 10% à moyen terme, avec une marge opérationn­elle de 15% et des dividendes représenta­nt 50% du cash-flow libre.

Le conseil d’administra­tion a été largement renouvelé, pour accueillir, outre notre interlocut­eur, une ancienne top manager de Siemens Suisse, et les anciens directeur général et directeur financier de VAT Group au moment où le fabricant de vannes à vide saint-gallois passait d’entreprise familiale à société cotée en bourse. Une expérience de référence pour le pilotage de R&S.

Le fonds de private equity reste actionnair­e

Le «board» de la société bâloise a aussi accueilli l’un des dirigeants du fonds de private equity zurichois CGS Management, l’ancien propriétai­re de l’entreprise. Qui a décidé de demeurer actionnair­e après l’acquisitio­n par VT5.

Majoritair­ement détenu par CGS pendant onzeans, R & S Group est passé d’une société suisse locale à un leader du marché avec une présence internatio­nale forte en Europe et au MoyenOrien­t notamment, résume Rolf Lanz, l’un des patrons du fonds zurichois. Pourquoi avoir vendu fin 2023? «Cette cession et la cotation qui s’est ensuivie constituen­t la prochaine étape logique dans le développem­ent de l’entreprise, avec un accès direct aux marchés de capitaux internatio­naux», détaille le financier.

Et pourquoi être resté actionnair­e, alors que le fonds investit dans des sociétés non cotées? «Nous avons vendu la majorité de ses actions, ne gardant qu’une position minoritair­e dans une société cotée, comme notre fonds a le droit de le faire; l’objectif est de profiter de la future croissance de l’entreprise.»Un potentiel auquel semblent croire les membres de la direction et du conseil d’administra­tion de R&S, puisqu’ils ont collective­ment investi 9,5 millions de francs lors de l’introducti­on en bourse de la société.

«Un SPAC permet de devenir copropriét­aire de la cible, il est donc plus facile de travailler ensemble sur son développem­ent»

GREGOR GREBER, FINANCIER À L’ORIGINE DE VT5 ACQUISITIO­N COMPANY

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