Haro sur la pertinence de la «transition énergétique»
Le concept évoqué par ces deux mots suscite la critique d’un historien et d’une enquêtrice. Le premier estime que de transition il n’y en a pas, la seconde affirme que l’extraction des métaux sur laquelle elle repose est néfaste
Ce sont les deux livres francophones de la rentrée énergétique. Parus en janvier, Sans transition – Une nouvelle histoire de l’énergie (Jean-Baptiste Fressoz, Seuil) et La Ruée minière au XXIe siècle (Celia Izoard, Seuil) secouent des caractéristiques du monde énergétique que le grand public tend à tenir pour acquises. Sans traiter les mêmes angles, ils remettent en cause la pertinence de la notion si médiatisée de transition énergétique, non sans quelques mérites.
Le premier s’appuie sur l’histoire, un passé que son auteur estime trop facilement qualifié de «phasiste». Comme si l’humanité était passée ces deux derniers siècles de périodes énergétiques très différentes les unes des autres et qu’à chaque «transition» l’énergie précédente faisait profil bas et cédait sa place à la suivante. L’âge du bois aurait pris fin avec l’avènement de celui du charbon qui aurait ensuite laissé le terrain au pétrole tandis qu’aujourd’hui arriverait le temps des renouvelables.
«Chemin de bois»
Il n’en est rien, selon Jean-Baptiste Fressoz. En réalité, il n’y a jamais eu de transition, martèle-t-il, seulement une accumulation. L’âge d’or du charbon? Certainement pas l’Angleterre victorienne, mais bien l’année 2023 (ou les suivantes). L’an dernier, 8,5 milliards de tonnes de charbon ont été consommées, un record. Les chemins de fer? On pourrait tout aussi bien les appeler «chemin de bois» tant la fabrication du métal sur lequel roulent les trains dépend du charbon, dont l’extraction repose sur une consommation gigantesque de bois (notamment sous forme d’étais, pour soutenir les toits des galeries dans les mines de charbon).
Les dates des pics des hydrocarbures sont régulièrement repoussées, encore aujourd’hui. Cette accumulation d’énergies intriquées, les livres d’histoire ou les médias ont tendance à l’omettre, selon Jean-Baptiste Fressoz. L’historien souligne que la transition énergétique actuelle n’en est pas (encore) une. Il a entièrement raison.
Mais contrairement à ce que croit Jean-Baptiste Fressoz, le grand public partage aussi ce diagnostic. Les médias parlent régulièrement de cette accumulation – il n’y a qu’à voir les débats sur les pics pétroliers ou de charbon. La bande dessinée de Jean-Marc Jancovici,
Il n’y a jamais eu de transition, seulement une accumulation, martèle l’historien Jean-Baptiste Fressoz
Le Monde sans fin, la met en évidence et c’est un best-seller. Et la transition actuelle doit, cette fois, en être une et aboutir à un monde quasi exempt de forces fossiles, même s’il paraît lointain. Et donc reposer sur des métaux.
Ce qui nous porte au second livre, très critique vis-à-vis de l’industrie extractive et de la pollution sous-estimée qu’elle génère. Les métaux sont partout, des bâtiments aux ponts, des avions aux éoliennes. Un smartphone ordinaire en contient une cinquantaine, à mini-doses, ce qui le rend difficile à recycler. Nous sommes des «êtres miniers» au rapport «maladif à l’extraction», écrit l’enquêtrice française. Des Homo energeticus, peut-on d’ailleurs lire dans un livre du même nom (Stéphane Sarrade, HumenSciences, publié en octobre 2023) aux thèses similaires.
On se plaint volontiers des déchets nucléaires, mais sur ceux des mines, on n’entendait quasiment rien avant le cri de Celia Izoard. Ces derniers sont pourtant nettement plus volumineux et également toxiques. Extraire des minerais puis les transformer en métaux requiert des acides ou autres métaux lourds (un opéra à Genève a d’ailleurs évoqué le cas d’un accident d’acide sulfurique au Congo).
Bassins toxiques
A côté de chaque mine, on l’ignore trop souvent, gisent d’immenses bassins de résidus (tailings en anglais). Ils reposent en général sur des toiles en polymères imperméables pour éviter de contaminer le sol, mais il y a des accidents. Ceux de la mine de cuivre et de cobalt de Mutanda, exploitée par Glencore en RDC, que Le Temps a visitée, font penser au salar d’Uyuni.
Les gisements sont toujours moins riches en minerais, l’extraction est donc plus énergivore. Les métaux, présentés comme «ceux de la transition», sont aussi les matières premières de la numérisation de la société (elle-même gourmande en énergie et pas toujours indispensable), de l’armement ou de l’aérospatial.
L’activité minière génère 8% des émissions de carbone dans le monde, selon des données mises en évidence par l’organisation Our World in Data. Transformer les minerais de fer par exemple – le monde en a produit 2,6 milliards de tonnes en 2022 – se fait en général avec du charbon, en grosse quantité (un exemple de symbiose énergétique chère à Jean-Baptiste Fressoz).
Sans le dire, Celia Izoard semble plaider pour l’énergie nucléaire – peu intense en métaux – ou celle des panneaux solaires, dont le déploiement requiert moins d’éléments difficiles à obtenir (mais qui nécessite beaucoup d’énergie, en général du charbon chinois). On retiendra aussi de ces livres que la seule solution pour sauver la planète se résume en deux mots: sobriété et efficacité énergétique.
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